Page:Zola - Travail.djvu/361

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

achevait de les unir. Mais Luc, plein de cette grande émotion, se renseigna, sut bientôt les terribles colères jalouses de Ragu, ses violences, l’étroite surveillance dans laquelle il enfermait sa femme. Et, s’il avait gardé le moindre doute sur sa paternité, cette jalousie féroce, s’exaspérant de la venue de cet enfant, aurait suffi à lui prouver qu’il en était bien le père. Désormais, Josine était sa femme. Elle était à lui, à lui seul, puisqu’elle était enceinte d’un enfant de lui. Le seul époux était le père, le plaisir qu’on volait à une femme ne laissait rien ne comptait pas. Un seul lien nouait le couple, solide, éternel, l’enfant, la vie propagée, un être nouveau, né de l’indissoluble union de deux êtres. Et c’était pourquoi lui ne se sentait pas jaloux de Ragu, pendant que celui-ci s’enrageait de jalousie, car Ragu n’existait pas, n’était que le voleur qui passe et qu’on oublie. Pour toujours, Josine appartenait à Luc, et elle lui reviendrait, l’enfant serait leur vivante floraison.

Dès lors, cependant, Luc s’inquiéta, souffrit cruellement de savoir Josine injuriée, maltraitée, en continuel danger de quelque mauvais coup. Il lui était insupportable de laisser, aux mains brutales et déshonorantes de Ragu, cette femme adorée, qu’il aurait voulu faire vivre dans un paradis de tendresse, en l’entourant du culte dévot dû à la mère que l’enfant sanctifie. Mais que faire, comment l’avoir toute à lui, lorsqu’elle s’obstinait à rester si discrète, se taisant dans son ombre, pour lui éviter tout embarras  ? Elle refusait même de le voir, par crainte de quelque surprise, qui aurait livré son secret, si tendrement gardé au fond de son être douloureux  ; et il dut la guetter, la surprendre, pour échanger un soir quelques mots avec elle.

Ce fut par une soirée très sombre que Luc, caché dans un angle obscur de la misérable rue des Trois-Lunes, put arrêter Josine un instant au passage.