Page:Zola - Travail.djvu/398

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Et il goguenardait, et il se moquait de ceux qui crient aux paysans  : «  Aimez la terre  ! aimez la terre  !   » Sans doute, il voulait bien l’aimer, mais, tout de même, il voulait aussi en être aimé c’est-à-dire qu’il ne voulait plus l’aimer pour les maîtres. Comme il le répétait, son père, son grand-père, son arrière-grand-père, l’avaient aimée sous le bâton des exploiteurs, sans en tirer autre chose que de la misère et des larmes. Alors, lui, en avait assez de cette exploitation féroce, de ce marché de dupe du fermage, la terre aimée, caressée, fécondée par le fermier, pour que le propriétaire ait ensuite l’enfant avec la femme, toute la richesse.

Il y eut un silence. Et il ajouta d’un air d’ardeur concentrée à voix plus basse  :

«  Oui, oui, la terre à tous, pour qu’on se remette à l’aimer, à la cultiver… Moi, j’attends.  »

Très frappé, Luc le regarda. Il le sentait d’une intelligence vive dans son attitude fermée. Et voilà que, derrière le paysan fruste, un peu sournois, il apercevait maintenant un fin diplomate, un précurseur de regard clair, voyant l’avenir, menant l’expérience des Combettes, pour un but lointain, connu de lui seul. Il soupçonna la vérité, il voulut avoir une certitude.

«  Alors, si vous laissez vos terres dans cet état, c’est aussi pour qu’on les compare aux terres voisines et que l’on comprenne  ? … Mais n’est-ce pas un rêve  ? Jamais les Combettes n’envahiront, ne mangeront la Guerdache.  »

De nouveau, Feuillat eut son rire muet. Puis, sans vouloir en dire davantage  :

«  Peut-être, il faudrait d’ici là de grosses affaires… Enfin, qui sait  ? j’attends.  »

Au bout de quelques pas, il reprit encore, avec un geste large, emplissant l’horizon  :

«  N’empêche que ça marche. Vous vous rappelez le désolant coup d’œil qu’on avait d’ici, avec ces pauvres lopins de terre d’une