Page:Zola - Travail.djvu/413

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C’était cette rêverie noire qu’il venait ainsi promener pendant des heures. Il l’avait enfouie au plus profond de son être, s’efforçant de s’en cacher à lui-même la désespérance. Il affectait de rester brave, hautain, dédaigneux des événements d’un jour, sous le prétexte que l’Église était la maîtresse de l’éternité. Mais, quand il se rencontrait avec l’instituteur Hermeline, qui ne décolérait point devant le succès des méthodes de la Crêcherie, près de passer à la réaction, au nom du salut même de la République, il ne discutait plus avec son âpreté d’autrefois, il prétendait s’en remettre à Dieu  ; car Dieu permettait certainement ces saturnales anarchiques, dans le but de foudroyer ses ennemis et de faire ensuite éclater son triomphe. Le docteur Novarre, plaisantant, avait trouvé le mot, en disant que l’abbé abandonnait Sodome, à la veille de la pluie de feu. Sodome, c’était le vieux Beauclair empesté, le Beauclair bourgeois mangé d’égoïsme, la ville coupable condamnée à être détruite, dont il fallait assainir la terre, si l’on voulait voir pousser à la place la Cité de santé et de joie, de justice et de paix. Tous les symptômes indiquaient le craquement final, le salariat râlait, la bourgeoisie affolée se faisait révolutionnaires, le sauve-qui-peut des intérêts amenait aux vainqueurs les forces vives du pays, et ce qui restait, les matériaux usés, inemployables, les décombres épars allaient être balayés par le vent. Déjà le Beauclair rayonnant de demain sortait des ruines. Quand l’abbé Marle, sous les arbres du boulevard de Magnolles, laissait retomber son bréviaire, le pas ralenti, les yeux à demi fermés, c’était sûrement cette vision qui, en se dressant devant lui, le noyait d’amertume.

Parfois, le président Gaume et l’abbé Marle se rencontrèrent dans ces promenades silencieuses, en pleine solitude. D’abord, ils ne se voyaient pas, ils continuaient leur marche parallèle, la tête si basse, les yeux si perdus, que