Page:Zola - Travail.djvu/421

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Elle laissa échapper un geste de furieuse impatience, elle répondit  :

«  Montons nous coucher, ça vaudra mieux.  » Mais elle ne bougeait pas, ses mains tordaient fiévreusement son éventail, tandis qu’un souffle court soulevait sa gorge nue.

Et elle finit par dire ce qui l’étouffait ainsi.

«  Tu es donc allé à la Guerdache, ce matin  ?

— Oui, j’y suis allé.

— Et c’est vrai ce que Boisgelin vient de me raconter  ? L’usine est en danger de faillite, nous sommes à la veille de la ruine, à ce point qu’il va falloir ne plus manger que du pain et ne plus porter que des robes de laine  !

— Oui, j’ai dû lui dire la vérité.  »

Elle tremblait, elle se contenait, pour ne pas éclater tout de suite en reproches et en outrages. C’en était fait, sa jouissance était menacée, perdue. La Guerdache ne donnerait plus de fêtes, ni dîners, ni bals, ni chasses. On en fermerait les portes, Boisgelin ne lui avait-il pas avoué qu’il serait peut-être forcé de vendre  ? Et c’en était fait aussi de son retour à Paris, avec des millions. Tout ce qu’elle avait cru tenir enfin, la fortune, le luxe, le plaisir goûté épuisé en un continuel raffinement de la sensation, croulait. Elle ne sentait plus autour d’elle que des ruines, et ce Boisgelin venait de l’exaspérer encore par sa mollesse, sa lâcheté à plier la tête sous le désastre.

«  Tu ne me dis jamais rien de nos affaires, reprit-elle âprement. J’ai l’air d’une bête, cela m’est tombé sur la tête comme si les plafonds s’effondraient… Et, alors, qu’est-ce que nous allons faire, dis-moi  ?

— Nous allons travailler, répondit-il simplement, il n’y a pas d’autre salut possible.  »

Mais elle ne l’écoutait déjà plus.