Page:Zola - Travail.djvu/425

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Dis donc, est-ce que tu crois que, belle comme je l’étais, fille d’un prince, j’aurais accepté un homme tel que toi, laid, commun, sans position, si j’avais eu seulement du pain. Regarde-toi donc, mon ami  ! Je t’ai bien voulu, parce que tu t’es engagé à conquérir pour moi la fortune, une situation royale. Et, si je te dis tout ça, c’est que, justement, tu n’as tenu aucun de tes engagements.  »

Il s’était planté devant elle, il la laissait aller, serrant les poings, s’efforçant de garder son sang-froid.

«  Tu entends, répéta-t-elle avec une obstination furieuse, aucun de tes engagements, aucun  ! Et pas plus envers Boisgelin qu’envers moi, car c’est bien toi qui l’as ruiné, ce pauvre homme. Tu l’as décidé à te donner son argent, tu lui as promis des rentes fabuleuses, et voilà que lui non plus ne va pas avoir de quoi s’acheter des souliers… Mon ami, quand on n’est pas capable de diriger une grosse affaire, on reste petit employé, on vit dans son trou, avec une femme assez laide et assez bête pour torcher les enfants et raccommoder les chaussettes… C’est la faillite, et c’est ta faute, tu entends, à toi, à toi seul  !   »

Il ne put se contenir davantage. Ce qu’elle lui disait si sauvagement, lui retournait le couteau dans le cœur et dans la conscience. Lui qui l’avait tant aimée, l’entendre parler de leur mariage comme d’un marché bas, où il n’y avait eu de sa part que nécessité et que calcul  ! Lui qui, depuis bientôt quinze ans, travaillait si loyalement, si héroïquement, à tenir la promesse faite à son cousin, être accusé par elle de mauvaise administration et d’incapacité  ! Il la saisit des deux mains, par ses bras nus, il la secoua, en disant à voix basse, comme s’il craignait que l’éclat de sa parole ne l’affolât lui-même  :

«  Malheureuse  ! tais-toi, ne me rends pas fou  !   »

Mais elle s’était levée à son tour, elle s’était dégagée, balbutiant