Page:Zola - Travail.djvu/427

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passa, elle eut un cri d’abominable jouissance, en se jetant elle-même au gouffre.

«  Je dis si peu de bêtises, mon ami, que je couche avec ton Boisgelin depuis douze ans.  »

Delaveau ne comprit pas tout de suite. À la volée, il avait reçu au visage l’injure atroce qui l’étourdissait.

«  Qu’est-ce que tu dis  ?

— Je dis que je couche avec ton Boisgelin depuis douze ans, et puisqu’il n’y a plus rien, puisque tout s’écroule, eh bien  ! voilà c’est fini  !   »

Les dents serrées, bégayant, délirant à son tour, il s’était rué sur elle, il l’avait reprise par les bras, la secouant, la renversant dans le fauteuil. Ces épaules nues, cette gorge nue, cette nudité provocante qu’elle étalait dans ses dentelles, il aurait voulu la broyer à coups de poing, l’anéantir, pour qu’elle ne l’insultât pas et ne le torturât pas davantage. Le voile de sa longue confiance, de sa longue crédulité, se déchirait enfin, et il voyait, et il devinait. Jamais elle ne l’avait aimé, son existence près de lui n’avait jamais été qu’hypocrisie, ruse, mensonge et trahison. De cette femme si belle, si fine, si exquise, de cette femme qu’il adorait, qu’il désirait d’un cœur idolâtre, brusquement se levait la louve, la fureur sombre, la brutalité des instincts. Il voyait naître d’elle tout ce qu’il avait ignoré si longtemps, la pervertisseuse, l’empoisonneuse tarée avait lentement tout corrompu autour de lui, une chair de traîtrise et de cruauté dont la jouissance était faite des larmes et du sang des autres.

Et, dans la stupeur où il se débattait, ce fut elle encore qui l’injuria.

«  À coups de poing, n’est-ce pas  ? brute  ! Va, va, à coups de poing, comme tes ouvriers, quand ils sont ivres  !   »

Alors, au milieu de l’effrayant silence, Delaveau entendit