Page:Zola - Travail.djvu/439

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relever l’usine, tâcher de découvrir de l’argent, une société, un ingénieur, dans l’espoir de continuer l’exploitation  ? Cela semblait d’une réussite presque impossible, car les pertes étaient considérables. Ou bien allait-il attendre un acheteur, qui s’accommoderait des terrains, de l’outillage et du matériel sauvés, à ses risques et périls  ? Mais, cet acheteur, il doutait fort de sa venue, il doutait surtout d’obtenir de lui un prix même assez gros qui permît de liquider la situation. Et la question de l’existence demeurait toujours à résoudre, dans ce grand domaine de la Guerdache, grevé d’énormes frais, d’un entretien très lourd, et où, dès la fin du mois, il n’aurait peut-être pas de pain à manger.

Une seule créature eut alors pitié de ce misérable homme, si tremblant, si abandonné, rôdant dans sa demeure vide comme un enfant perdu, et ce fut Suzanne, sa femme, cette femme d’une héroïque douceur qu’il avait affreusement outragée. Au début, lorsqu’il lui imposait sa liaison avec Fernande, vingt fois elle s’était levée le matin résolue à un éclat, pour chasser de la maison la maîtresse, l’étrangère  ; et, chaque fois, elle avait fini par demeurer dans son aveuglement volontaire, certaine que, si elle chassait Fernande son mari la suivrait, tellement il était hanté, possédé. Puis, la situation anormale s’était réglée, elle avait fait chambre à part, elle n’avait plus été la femme légitime que devant le monde, gardant ainsi les apparences, se consacrant tout entière à l’éducation de son fils Paul, qu’elle voulait sauver du désastre. Sans ce bel enfant, blond comme elle, doux comme elle, jamais elle ne se serait résignée. Il était la cause profonde de son renoncement, de son sacrifice. Aussi l’avait-elle enlevé au père indigne, comme une intelligence, un cœur à elle, à elle seule, où elle cultiverait la raison en la bonté, pour sa consolation. Et les années s’étaient écoulées de la sorte, dans la joie grave de le voir grandir en sagesse, en tendresse,