Page:Zola - Travail.djvu/451

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comme si j’assistais à une résurrection. Mon cœur se serre, il me semble voir là un signe prodigieux, qui annonce d’extraordinaires événements.  »

Novarre sourit de cette nervosité de femme. Puis, il voulut se rendre compte par lui-même. Mais M. Jérôme n’était point un malade commode, il avait fermé sa porte aux médecins ainsi qu’au reste du monde  ; et, en somme, comme son état ne réclamait aucun traitement, le docteur s’abstenait d’entrer chez lui, depuis des années. Il dut donc se contenter de l’attendre dans le parc, à une de ses sorties, de le saluer, de le suivre sur la route. Même il l’aborda, il vit ses yeux s’éclairer, ses lèvres s’ouvrir en un balbutiement confus. Et il fut étonné, remué à son tour.

«  Vous avez raison, madame, revint-il dire à Suzanne, le cas est très singulier. Il y a évidemment là toute une crise de l’être, qui doit venir d’un profond ébranlement intérieur.  »

Anxieuse, elle demanda  :

«  Mais que prévoyez-vous, docteur, et que pouvons-nous faire  ?

— Oh  ! nous ne pouvons rien faire, cela est malheureusement certain. Et, quant à prévoir ce qu’un tel état peut amener prochainement, je ne m’y hasarderai même pas… Pourtant, je dois dire que, si de pareils cas sont rares, il y en a des exemples. Ainsi, je me souviens d’avoir examiné, à l’asile de Saint-Cron, un vieillard qui s’y trouvait enfermé depuis près de quarante ans, sans que les gardiens se souvinssent de l’avoir jamais entendu prononcer une parole. Tout d’un coup, il parut s’éveiller, il parla confusément d’abord, puis très nettement, et ce fut un flux interminable, des heures entières d’un bavardage ininterrompu. Mais l’extraordinaire était que ce vieillard, considéré comme idiot, avait tout vu, tout entendu, tout compris, pendant ses quarante ans d’apparent