Page:Zola - Travail.djvu/500

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son père, que je suis entré à l’usine. Mais, avant ces deux-là, il y avait eu M. Blaise, avec lequel mon père, Jean Ragu, et mon grand-père, Pierre Ragu, ont travaillé. Pierre Ragu et Blaise Qurignon, c’étaient deux compagnons, deux ouvriers étireurs qui tapaient à la même enclume. Et voilà, et les Qurignon sont des patrons archimillionnaires, et les Ragu sont restés de pauvres bougres… Toujours on recommence, les choses ne peuvent pas changer, il faut donc croire qu’elles sont bien ainsi.  »

Il divaguait un peu, dans sa somnolence de très vieille bête éclopée, oubliée, échappée par miracle à l’abattoir commun. Souvent, il ne se rappelait pas le lendemain les événements de la veille.

«  Mais, père Lunot, dit Bonnaire, c’est justement que les choses changent beaucoup depuis quelque temps… M. Jérôme, dont vous parlez, est mort, et il a rendu tout ce qu’il lui restait de sa fortune.

— Comment, il a rendu  ?

— Oui, il a rendu aux camarades la richesse qu’il devait à leur effort, à leur longue souffrance… Souvenez-vous, il y a longtemps déjà.  »

Le vieillard fouillait dans sa mémoire obscure.

«  Ah  ! bon, bon  ! ça me revient, cette drôle d’histoire  ! … Eh bien  ! s’il a rendu, c’est un imbécile  !   »

Le mot tomba avec une netteté méprisante, car le rêve du père Lunot n’avait jamais été que de faire une grosse fortune, comme les Qurignon, pour jouir ensuite de la vie en patron triomphant, en monsieur oisif, s’amusant du matin au soir. Il en était resté là, avec toute la génération des vieux esclaves exploités et fourbus, résignés à leurs chaînes, qui gardaient l’unique regret de n’être pas nés parmi les exploiteurs.

La Toupe éclata d’un rire insultant.

«  Tu vois  ! le père n’est pas si bête que vous autres, il ne