Page:Zola - Travail.djvu/503

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Les Mazelle adorant leur fille, c’était au nom de cette adoration qu’ils s’entêtaient à ne pas céder, non dans des explications violentes, mais par leur inertie bonasse, une sorte de vague ensommeillement, qui, croyaient-ils, lasserait son caprice. Elle avait beau emplir la maison du vol de ses jupes, taper fiévreusement sur son piano, jeter les bouquets encore frais par les fenêtres, donner les signes du trouble le plus passionné  : ils lui souriaient paisiblement, affectaient de ne rien comprendre, s’efforçaient de la bourrer de friandises et de cadeaux. Et elle s’enrageait d’être ainsi comblée de douceurs lorsqu’on lui refusait l’unique chose qui lui serait délicieuse, si bien qu’elle finit par menacer ses parents de tomber malade. Elle prit même le lit, se tourna contre le mur, ne voulut plus leur répondre. Novarre, appelé, déclara que ces maladies-là n’étaient pas du domaine de sa science. La seule guérison des filles en mal d’amour, c’était de les laisser libres d’aimer. Alors, éperdus comprenant que le cas devenait sérieux, les Mazelle tinrent conseil passèrent une nuit blanche, dans l’alcôve conjugale, à se demander s’ils devaient céder. L’affaire leur parut si grave, si grosse de conséquences, qu’ils n’osèrent prendre une décision, en s’en tenant à leurs propres lumières  ; et ils résolurent de réunir leurs amis pour leur soumettre le cas. N’était-ce pas une désertion, ce don de leur fille à un ouvrier, dans les circonstances révolutionnaires où Beauclair se débattait  ? Ils sentaient cette union décisive, une abdication dernière de la bourgeoisie, du négoce et de la rente. Et il était naturel que les autorités, les têtes de la classe possédante et dirigeante, fussent consultées. Un bel après-midi, ils invitèrent donc le sous-préfet Châtelard, le maire Gourier, le président Gaume et l’abbé Marle, prendre une tasse de thé, dans leur jardin fleuri, où ils avaient passé tant de paresseuses journées, allongés au fond de grands fauteuils berceurs, face à face, regardant