Page:Zola - Travail.djvu/524

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éteindre et démolir le colosse qui flambait pendant des sept et huit années le bouleversait. Aussi se renseignait-il, et il s’était inquiété, lorsque Jordan avait réalisé un premier progrès en brûlant le charbon au sortir de la mine, sous les chaudières des machines, puis en amenant l’électricité à la Crêcherie par des câbles, sans déperdition aucune. Mais, comme le prix de revient restait beaucoup trop élevé, pour permettre d’employer la force électrique à la fonte du minerai de fer, il avait pu se réjouir de l’inutilité de cette victoire. Pendant dix années encore, chacun des échecs nouveaux de Jordan l’avait trouvé heureux, sourdement ironique, convaincu que le feu se défendrait, ne se laisserait jamais vaincre par cette puissance, ce tonnerre mystérieux dont on ne voyait pas même l’éclair. Il souhaitait la défaite du maître, l’anéantissement des appareils sans cesse construits, perfectionnés de jour en jour. Et voilà que, tout d’un coup, la menace s’aggrava, le bruit courut que Jordan venait enfin de réaliser sa grande œuvre  : il avait trouvé le moyen de transformer directement l’énergie calorifique contenue dans le charbon, en énergie électrique, sans passer par l’énergie mécanique, c’est-à-dire en supprimant la machine à vapeur, cet intermédiaire si encombrant, si coûteux. De sorte que le problème était résolu, le prix de revient de l’électricité allait être si réduit, qu’on pourrait l’employer utilement à la fonte du minerai de fer. Des appareils de production fonctionnaient déjà, on installait une première batterie de fours électriques, et Morfain, désespéré, rôdait autour de son haut fourneau, de son air farouche et têtu, comme s’il eût voulu le défendre.

Cependant, Luc ne donna pas tout de suite l’ordre d’éteindre le haut fourneau, désireux de procéder d’abord à des expériences concluantes, avec la batterie. Pendant près de six mois, les deux fontes marchèrent parallèlement,