Page:Zola - Travail.djvu/56

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son sort, il se prononçait violemment contre les syndicats, les groupements d’intérêts, armés pour l’action collective. Dès lors, ce fut la lutte, il montra la plus mauvaise grâce à terminer la révision des tarifs, il crut devoir s’armer lui aussi, décréter en quelque sorte à l’Abîme l’état de siège. Depuis qu’il sévissait, les ouvriers se plaignaient de ne plus avoir de liberté individuelle. On les surveillait étroitement, dans leurs actes, dans leurs pensées, en dehors même de l’usine. Ceux d’entre eux qui se faisaient humbles et flatteurs, espions peut-être, gagnaient les tendresses de l’administration, tandis que les fiers, les indépendants, étaient traités en hommes dangereux. Et comme le chef, conservateur, défenseur instinctif de ce qui existait, voulait ouvertement ne plus avoir que des hommes à lui, tous les sous-ordres, les ingénieurs, les contremaîtres, les surveillants renchérissaient, se montraient d’une sévérité implacable sur l’obéissance et sur ce qu’ils appelaient le bon esprit.

Bonnaire, blessé dans son besoin de liberté et de justice, se trouva naturellement à la tête des mécontents. Ce fut lui qui se rendit chez Delaveau, avec quelques camarades, pour lui faire connaître leurs réclamations. Il lui parla très nettement, l’exaspéra sans obtenir l’augmentation des salaires demandée. Delaveau ne croyait pas à la possibilité, chez lui, de la grève générale, car les ouvriers métallurgistes sont lents à se fâcher, il n’y avait pas eu de grève à l’Abîme, depuis des années, tandis qu’il en éclatait d’incessantes, parmi les ouvriers mineurs, dans les houillères de Brias. Et, lorsque cette grève générale se produisit, malgré ses prévisions, lorsqu’un matin deux cents hommes à peine sur mille se présentèrent, et qu’il dut fermer l’usine, il en conçut une telle colère contenue, que dès lors il s’entêta, intraitable. Il commença par jeter à la porte le syndicat et Bonnaire, le jour où des délégués se hasardèrent à le venir trouver. Il était le maître chez