Page:Zola - Travail.djvu/573

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éperdue, sa folie maniaque d’oisif ne pouvant plus vivre dans la Cité nouvelle du juste travail, aboutissait à cette mort tragique. Et, dans la tiède nuit nuptiale, le parc s’emplissait d’un frôlement de caresses, d’un chuchotement de voix amoureuses.

Pour ne pas jeter l’épouvante parmi les couples dont les ombres légères glissaient entre les arbres, autour de lui, Luc envoya les deux hommes chercher une civière à la Crêcherie, en les priant de ne dire à personne la lugubre découverte. Puis, lorsqu’ils furent de retour et qu’ils eurent couché le corps sous les petits rideaux de toile grise, le triste cortège se mit en marche, par les sentiers les plus noirs, afin de n’être pas vu. Ainsi, la mort affreuse passa muette, noyée de ténèbres, au travers du délicieux réveil printanier, frissonnant de vie nouvelle.

De partout des amoureux semblaient naître, il en surgissait au coude de chaque avenue, au détour de chaque buisson, dans le pullulement des germes qui soulevaient la terre pâmée. Un parfum de fleurs embaumait l’air, les mains se cherchaient, les lèvres s’unissaient, avec l’imperceptible bruit du bouton en train d’éclore. Et c’était le torrent des êtres élargi d’un flot nouveau, la mort vaincue sans cesse, demain poussant toujours, pour plus de vérité, plus de justice et de bonheur.

Devant la porte de la maison, Suzanne attendait, angoissée, les yeux au loin dans la nuit. Lorsqu’elle aperçut la civière, elle comprit, elle eut une plainte sourde. Et, lorsque Luc, en quelques mots, lui eut conté la fin misérable de l’inutile endormi là, elle ne put que répéter encore, devant l’évocation de toute cette existence, vide, empoisonnée et empoisonneuse, dont elle avait tant souffert  :

«  Ah  ! le malheureux, le vieil enfant  !   »

D’autres catastrophes se produisirent, dans l’écroulement fatal de la vieille société pourrie, condamnée à disparaître.