Page:Zola - Travail.djvu/579

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Pendant dix années encore, la Cité acheva de se fonder, d’organiser la société nouvelle en sa justice et en sa paix. Et, cette année-là, le 20 juin, la veille d’une des grandes fêtes du travail qui avaient lieu quatre fois par an, aux quatre saisons, Bonnaire fit une rencontre.

Âgé de quatre-vingt-cinq ans bientôt, Bonnaire était le patriarche, le héros du travail. Resté droit grand et fort, avec sa tête solide, aux épais cheveux blancs, il était très alerte, très sain et très gai. L’ancien révolutionnaire, le collectiviste théorique que le bonheur réalisé des camarades avait pacifié, vivait maintenant dans la récompense de son long effort, cette conquête de l’harmonie solidaire où il voyait grandir en félicité ses petits-enfants et ses arrière-petits-enfants. Il restait un des derniers ouvriers survivants de la grande lutte, un des combattants de cette réorganisation du travail qui avait amené une juste répartition de la richesse, tout en rendant au travailleur sa noblesse, sa libre individualité d’homme et de citoyen. Et il était couvert d’ans et de gloire, fier d’avoir aidé par sa nombreuse descendance à la fusion des classes ennemies, utile encore par sa beauté et sa bonté d’ancêtre, au soir de l’existence.

Or, ce soir-là, au déclin du jour, Bonnaire se trouvait donc en promenade, à l’entrée des gorges de Brias. S’aidant simplement d’une canne, il faisait souvent ainsi de