Page:Zola - Travail.djvu/584

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

regards à droite et à gauche, ne reconnaissait aucun des endroits par où il passait. Enfin, lorsque Bonnaire s’arrêta devant une des maisons les plus charmantes, sous un bouquet de beaux arbres, il laissa échapper ce cri, dans lequel toute son âme de jadis reparaissait  :

«  Tu as donc fait fortune, te voilà bourgeois  !   »

L’ancien maître puddleur s’était mis à rire.

«  Non, non, je n’ai été, je ne suis qu’un ouvrier. Mais c’est vrai pourtant, nous avons tous fait fortune, nous sommes tous des bourgeois.  »

Ragu ricana, comme rassuré, dans sa crainte envieuse.

«  Un ouvrier ne peut pas être un bourgeois, et, lorsqu’on travaille encore, c’est qu’on n’a pas fait fortune.

— C’est bon, mon brave, nous causerons, je t’expliquerai cela… Entre, entre, en attendant.  »

Bonnaire se trouvait seul, pour le moment, dans cette maison qui était celle de sa petite-fille Claudine, mariée à Charles Froment. Depuis longtemps déjà, le père Lunot était mort, et sa fille, la sœur de Ragu, la Toupe terrible, l’avait rejoint l’année précédente, après une querelle affreuse, où elle s’était tourné les sangs, comme elle disait. Lorsque Ragu apprit cette double perte, la maison vide désormais de sa sœur et de son père, il eut un simple geste, il sembla dire qu’il s’y attendait, à cause de leur grand âge. Après un demi-siècle d’absence, on n’est pas surpris de ne retrouver personne.

«  Et nous sommes donc ici chez ma petite-fille Claudine, la fille de mon aîné Lucien, qui a épousé Louise Mazelle, la demoiselle des rentiers dont tu dois te souvenir. Claudine elle-même s’est mariée avec Charles Froment, un fils du maître de la Crêcherie. Mais ils ont justement mené leur fillette Alice, une gamine de huit ans, chez une tante, à Formeries, d’où ils ne doivent revenir que demain soir.  »

Puis, gaiement, il conclut  :