Page:Zola - Travail.djvu/612

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«  Voyons, voyons, mes enfants, ne vous pressez pas, il y en aura pour tout le monde… Tiens  ! ma blondine, pour toi, cette fillette qui met ses bas  ! … Tiens  ! mon grand garçon, pour toi, ce gamin qui revient de l’école  ! … Tiens  ! le petit brun là-bas, pour toi, ce forgeron avec son marteau  !   »

Et il criait, et il riait, très amusé au milieu des enfants heureux, se disputant ses petits bonshommes et ses petites bonnes femmes, comme il nommait ses exquises figurines.

«  Ah  ! prenez garde  ! il ne faut pas les casser… Placez-les dans vos chambres, ça vous mettra dans les yeux des lignes agréables, de jolies couleurs. Alors, quand vous serez grands, vous aimerez ce qui est beau et ce qui est bon, vous serez très beaux et très bons vous-mêmes.  »

C’était sa théorie, il fallait de la beauté au peuple, pour qu’il fût sain et fraternel. Un peuple satisfait ne pouvait être qu’un peuple intelligent et harmonieux. Tout chez lui, autour de lui, devait le rappeler à la beauté, surtout les objets d’un usage courant, les ustensiles, les meubles, la maison entière. Et la croyance à la supériorité de l’art aristocratique était imbécile, l’art le plus vaste, le plus émouvant, le plus humain, n’était-il pas dans le plus de vie possible  ? Lorsque l’œuvre serait faite pour tous, elle prendrait une émotion, une grandeur incomparables, l’immensité même des êtres et des choses. D’ailleurs, elle venait de tous, elle sortait des entrailles de l’humanité, car l’œuvre immortelle, défiant les siècles, naissait de la foule, résumait une époque et une civilisation. Et c’était toujours du peuple que l’art fleurissait, pour l’embellir lui-même, lui donner le parfum et l’éclat, aussi nécessaire à son existence que le pain de chaque jour.

«  Encore ce paysan qui moissonne, encore cette femme qui lave son linge, tiens  ! pour toi, ma grande, tiens  ! pour