Page:Zola - Travail.djvu/640

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«  Mais, mon ami, Luc est comme toi, il ne bouge plus, comment pourra-t-il descendre  ?   »

Jordan eut de nouveau son gai sourire, dont ses yeux se ranimaient.

«  On le descendra, ma sœur. Puisque je vais à lui dans mon fauteuil, il peut bien venir à moi dans le sien.  »

Et il ajouta tendrement  :

«  Il fait si bon ici, nous causerons une dernière fois, nous nous ferons nos adieux… Comment nous quitterions-nous à jamais, sans nous être embrassés  ?   »

Il fut impossible à Sœurette de refuser davantage, elle monta chez Luc. Tranquille, dans la caresse du soleil couchant, Jordan attendit. Bientôt, sa sœur reparut, lui annonçant la venue de son ami. Et une émotion profonde passa, lorsque Luc parut à son tour, également porté par deux hommes, dans son fauteuil. Il avança lentement parmi les verdures, suivi de Josine et de Suzanne, qui ne le quittaient pas. Puis, les hommes le déposèrent près de Jordan, et les fauteuils se touchaient, et les deux amis purent se prendre et s’étreindre les mains.

«  Ah  ! mon bon Jordan, comme je vous remercie, comme c’est bien de vous, cette pensée de nous voir encore et de nous dire adieu  !

— Vous seriez venu chez moi, mon bon Luc. Puisque je passais, et que vous étiez là, c’était si simple de nous rencontrer, pour la dernière fois, parmi ces herbes, sous un de nos chers arbres, dont nous avons tant aimé les ombrages.  »

L’arbre était un grand tilleul argenté, un géant superbe, à moitié dépouillé déjà de ses feuilles. Mais le soleil le dorait encore délicieusement, et toute une poussière d’astre tombait de ses branches, en une pluie tiède. La soirée était exquise, d’une paix immense, d’un charme infiniment doux. Un grand rayon baignait les deux vieillards d’une splendeur attendrie, tandis que les trois femmes,