Page:Zola - Travail.djvu/671

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au prorata du travail de chacun. Ensuite, on avait senti le besoin d’autres bureaux de contrôle, et une organisation compliquée semblait repousser peu à peu, encombrer les rouages de la société naissante. On retombait à l’enrégimentement de la caserne, jamais cadres plus durs n’avaient parqué les hommes en des cases plus étroites… Et, pourtant, l’évolution s’accomplissait, c’était quand même un pas vers la justice, le travail rentrait en honneur, la richesse se répartissait chaque jour avec plus d’équité. Au bout, il y avait fatalement la disparition du salariat et du capital, la suppression du commerce et de l’argent. Et, m’a-t-on raconté, voilà qu’aujourd’hui cet État collectiviste, bouleversé par tant de catastrophes arrosé de tant de sang, entre dans la paix, aboutit à la fraternelle solidarité des peuples libres et travailleurs.  »

Josine ne parla plus, retombée dans sa contemplation muette du vaste horizon. Et Luc reprit doucement  :

«  Oui, c’est un des chemins sanglants, un de ceux dont je n’ai pas voulu. Mais, à cette heure, qu’importe  ! puisqu’il conduisait à la même unité, à la même harmonie.  »

Alors, ce fut Sœurette qui parla, les yeux grands ouverts sur le vaste monde, par-derrière les promontoires géants des monts Bleuses.

«  J’ai su également toute une histoire, des témoins m’ont raconté ces effrayantes choses… C’est dans un vaste Empire voisin, les anarchistes ont fini par faire sauter la vieille charpente sociale, à coups de bombes et de mitraille. Le peuple avait tant souffert, qu’il s’était mis avec eux, achevant l’œuvre libératrice de destruction, balayant jusqu’aux dernières miettes du monde pourri. Longtemps, les villes dans la nuit avaient flambé comme des torches, au milieu du hurlement des anciens bourreaux égorgés, qui ne voulaient pas mourir. Et c’était le déluge de sang prédit, dont les prophètes de l’anarchie avaient annoncé longtemps la nécessité féconde… Ensuite, les temps nouveaux commencèrent.