Page:Zola - Travail.djvu/674

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peuples, gros de la société future, une moitié de l’Europe s’était jetée sur l’autre, et les continents avaient suivi, des escadres se heurtaient sur tous les océans, pour la domination des eaux et de la terre. Pas une nation n’avait pu rester à l’écart, elles s’étaient entraînées les unes les autres, deux armées immenses entraient, en ligne, toutes brûlantes des fureurs ancestrales, résolues à s’écraser, comme si, par les champs vides et stériles, il y avait, sur deux hommes, un homme de trop… Et les deux armées immenses de frères ennemis se rencontrèrent au centre de l’Europe, en de vastes plaines, où des millions d’êtres pouvaient s’égorger. Sur des lieues et des lieues, les troupes se déployèrent, suivies d’autres troupes de renfort, un tel torrent d’hommes, que, pendant un mois, la bataille dura. Chaque jour, il y avait encore de la chair humaine pour les balles et les boulets. On ne prenait même plus le temps d’enlever les morts, les tas faisaient des murs, derrière lesquels des régiments nouveaux intarissables, venaient se faire tuer. La nuit n’arrêtait pas le combat, on s’égorgeait dans l’ombre. Le soleil, à chacune de ses aurores, éclairait des mares de sang élargies, un champ de carnage où l’horrible moisson entassait les cadavres en meules, de plus en plus hautes… Et, de partout, c’était la foudre, des corps d’armée entiers disparaissaient dans un coup de tonnerre. Les combattants n’avaient pas même besoin de s’approcher ni de se voir, les canons tuaient de l’autre côté de l’horizon, lançaient des obus dont l’explosion rasait des hectares de terrain, asphyxiait, empoisonnait.

Du ciel lui-même, des ballons jetaient des bombes, incendiaient les villes au passage. La science avait inventé des explosifs, des engins capables de porter la mort à des distances prodigieuses, d’engloutir brusquement tout un peuple, comme en un tremblement de terre… Et quel monstrueux massacre, au dernier soir de cette bataille