Page:Zola - Travail.djvu/74

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La Toupe avait souri, mais elle le regardait fixement, elle attendait, ayant bien conscience que ce monsieur ne se serait pas dérangé, s’il n’avait pas eu quelque chose de considérable à obtenir d’elle. Lorsqu’il dut en venir au fait, lorsqu’il raconta comment il avait trouvé Josine sur un banc, mourant de faim abandonnée dans la nuit, elle eut un geste de violence, ses dures mâchoires se serrèrent. Et, sans même répondre au monsieur, elle se retourna vers son mari, furieuse.

« Quoi ? qu’est-ce que c’est encore que cette histoire ? Est-ce que ça me regarde ? »

Bonnaire, forcé d’intervenir, tâcha de l’apaiser, de son air de bonté conciliante.

« Tout de même, si Ragu t’a remis la clé, il faut la donner à cette malheureuse, puisqu’il est là-bas chez Caffiaux, où il est capable de passer la nuit. On ne peut pas laisser une femme et un enfant coucher dehors. »

Alors, la Toupe éclata.

« Oui, j’ai la clé ! oui, Ragu me l’a remise, et justement pour que cette gueuse-là ne vienne pas se réinstaller chez lui, avec son vaurien de frère ! Mais je n’ai rien à savoir de toutes ces saletés moi ! Je ne sais qu’une chose, c’est Ragu qui m’a donné sa clé, et c’est à Ragu que je la rendrai. »

Puis, comme son mari tentait encore de l’apitoyer, elle lui reposa violemment silence, elle reprit avec un emportement croissant :

« À la fin, est-ce que tu vas m’obliger à faire la camarade avec les maîtresses de mon frère ? En voilà une qui peut bien aller plus loin, puisqu’elle a été assez dévergondée pour se laisser prendre…. C’est propre n’est-ce pas ? ce petit frère qu’elle traîne partout, et qui couchait là-haut, dans un cabinet noir, à côté d’elle et de Ragu… Non, non ! chacun pour soi, et qu’elle reste au ruisseau, un peu plus tôt, un peu plus tard, c’est tout comme ! »

Le cœur meurtri, indigné, Luc l’écoutait. Il retrouvait chez elle cette dureté des honnêtes femmes du peuple, si impitoyables aux filles qui tombent, dans la rude lutte qu’elles mènent pour l’existence.