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des périodes humaines s’était accomplie, par suite de la continuelle marche en avant. Il n’était plus qu’un organisme mort, qui menaçait d’empoisonner le corps tout entier, et que la vie des peuples allait éliminer, sous peine d’une fin tragique.

« Ainsi, continua Bonnaire, ces Qurignon qui ont fondé l’Abîme, n’étaient point de méchantes gens. Le dernier, Michel, dont la fin a été si triste, s’était efforcé d’améliorer le sort de l’ouvrier. C’est à lui qu’on doit la création d’une caisse de retraites, dont il a donné les cent premiers mille francs, en s’engageant à doubler ensuite chaque année les sommes que les participants verseraient. Il a fondé également une bibliothèque, une salle de lecture, une infirmerie où il y a des consultations gratuites deux fois par semaine, un ouvroir et une école pour les enfants. Et M. Delaveau, bien qu’il soit moins tendre, a dû naturellement respecter tout ça. Voilà donc des années que cela fonctionne, mais que voulez-vous ? c’est en fin de compte, comme on dit, un vrai cautère sur une jambe bois. C’est de la charité, ce n’est pas de la justice. Ça peu fonctionner des années et des années encore, sans que la faim cesse, sans que la misère finisse jamais. Non, non ! il n’y a pas de soulagement possible, il faut définitivement couper le mal dans sa racine. »

À ce moment, le père Lunot, qu’on croyait rendormi, dit, du fond de l’ombre :

« Les Qurignon, je les ai connus. »

Luc se retourna, l’aperçut sur sa chaise, tirant à vide des bouffées de sa pipe éteinte. Il avait cinquante ans, il était resté près de trente ans à l’Abîme, arracheur. Petit, gros, la face bouffie et blafarde, on aurait dit que le feu l’avait enflé, au lieu de le dessécher. Peut-être était-ce l’eau dont il s’inondait, fumant en vapeur, qui lui avait donné des rhumatismes. Pris de bonne heure par les