Page:Zola - Travail.djvu/86

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s’égayait toujours. Ronde et fraîche, blanche de peau, coiffée de lourds cheveux couleur de blé, elle était un éternel printemps. Et, ne l’ayant pas trouvé chez Canaux, elle venait chercher son mari, sachant qu’il avait de la peine à rentrer, quand elle ne le ramenait pas elle-même. D’ailleurs, elle était sans gronderie, l’air amusé au contraire comme si elle eût trouvé très bien que son homme eût pris un peu de plaisir.

« Ah ! te voilà, père la Joie ! s’écria-t-elle gaiement, en l’apercevant. Je me doutais bien que tu n’avais pas quitté Ragu et que je te trouverais ici… Tu sais, mon gros, il est tard. J’ai couché Marthe et Sébastien, et c’est toi maintenant qu’il faut que je couche. »

Jamais non plus Bourron ne se fâchait, tant elle mettait de bonne grâce à l’enlever aux camarades.

« Ah ! elle est forte, celle-là ! Vous entendez, c’est ma femme qui me couche… Allons, je veux bien, puisque ça doit toujours finir comme ça. » Il s’était levé, et Babette, voyant alors, à la figure assombrie de tout le monde, qu’elle tombait dans une grosse tristesse, dans une querelle peut-être, tâcha d’arranger les choses. Elle, dans son ménage, chantait du matin au soir, aimant son homme, le consolant, lui contant de triomphantes histoires d’avenir, lorsqu’il était découragé. La misère, la souffrance exécrable où elle vivait depuis l’enfance, n’avait pas même pu entamer sa continuelle belle humeur. Elle était parfaitement convaincue que les choses s’arrangeraient très bien, elle partait sans cesse pour le paradis.

« Qu’est-ce que vous avez donc tous ? Est-ce que les enfants sont malades ? »

Puis, comme la Toupe éclatait de nouveau, lui contait que Bonnaire quittait l’usine, qu’ils seraient tous morts de faim avant une semaine, que du reste Beauclair entier allait y passer, car on était trop malheureux, on ne pouvait