Page:Zola - Travail.djvu/99

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jamais fait œuvre de ses dix doigts, il croyait être l’aristocrate nouveau, qui fondait sa noblesse en mangeant avec magnificence la fortune que ses ancêtres avaient acquise sans s’abaisser lui-même à gagner un sou. Le malheur fut que les six millions finirent par ne plus suffire au grand train de sa maison et qu’il se laissa entraîner dans des spéculations financières auxquelles, d’ailleurs, il ne comprenait rien. De nouvelles mines d’or affolaient alors la Bourse, on lui avait promis que, s’il y risquait sa fortune, il la triplerait en deux ans. Et, tout d’un coup, ce fut la débâcle, le désastre, il put croire un instant qu’il était absolument ruiné, au point de ne pas sauver des décombres un morceau de pain pour le lendemain. Il pleurait comme un enfant, il regardait ses mains d’oisif, en se demandant ce qu’il en ferait maintenant, puisqu’elles ne savaient ni ne pouvaient travailler. Alors, Suzanne, sa femme, se montra vraiment admirable, d’une tendresse, d’une raison, d’un courage, qui le remirent debout. Le million de sa dot se trouvait d’ailleurs intact. Elle voulut qu’il liquidât la situation, qu’il vendît l’hôtel du parc Monceau, où la vie devenait trop chère ; et un autre million fut ainsi retrouvé. Mais comment vivre, à Paris surtout, avec deux millions, lorsque six n’avaient pas suffi, et que toutes les tentations allaient renaître, du luxe étalé dont la grande ville brûlait ? Et le hasard d’une rencontre décida de l’avenir.

Boisgelin avait un cousin pauvre, Delaveau, le fils d’une sœur de son père, que son mari, inventeur malchanceux, avait mise sur la paille. Delaveau, petit ingénieur, sorti d’une école d’arts et métiers, occupait une modeste situation dans une houillère de Brias, au moment du suicide de Michel Qurignon. Dévoré du besoin de réussir, poussé par sa femme, et très au courant de la situation de l’Abîme, qu’il se disait certain de relever, grâce à une organisation toute nouvelle, il était venu à