Page:Zola - Vérité.djvu/123

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procès aurait donc lieu, puisqu’on n’avait pu éviter cette honte. Seulement, où était le jury qui oserait condamner Simon, devant le manque absolu de preuves ? L’idée seule d’une condamnation semblait monstrueuse, impossible. Dans sa prison, Simon continuait à pousser son éternel cri d’innocence ; et son attente tranquille, sa conviction d’être bientôt libre, à chacune des visites de son frère, fortifiaient, exaltaient celui-ci. Chez les Lehmann, on faisait même des projets, Mme Simon parlait d’aller passer un bon mois de repos, avec son mari et les enfants, dans un petit coin de la Provence, où ils avaient des amis. Et ce fut pendant cette nouvelle crise d’espoir, que David, un matin, emmena Marc à Beaumont, chez Delbos, afin de causer sérieusement de l’affaire.

Le jeune avocat habitait rue Fontanier, dans le quartier marchand et populaire. Fils d’un paysan des environs, il avait fait son droit à Paris, où il avait fréquenté un instant la jeunesse socialiste. Mais jusque-là, il ne s’était engagé à fond dans aucun parti, n’ayant pas encore rencontré une de ces causes retentissantes qui classent un homme. En acceptant l’affaire Simon, devant laquelle ses confrères tremblaient, il venait de décider de sa vie. Il l’étudiait, il se passionnait, à se trouver ainsi en présence de tous les pouvoirs publics, de toutes les forces réactionnaires, qui, afin de sauver de l’écroulement l’antique charpente sociale pourrie, se coalisaient pour la perte d’un pauvre être. Et le socialisme militant était au bout, l’unique salut possible du pays par cette force nouvelle du peuple enfin libéré.

— Eh bien ! c’est la bataille ! cria-t-il gaiement aux deux visiteurs, lorsqu’il les reçut dans son étroit cabinet, encombré de livres et de dossiers. Ah ! je ne sais pas si nous serons vainqueurs, mais nous leur donnerons tout de même du mal.