Page:Zola - Vérité.djvu/133

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si nous ne portons pas la guerre dans le camp ennemi… Et remarquez que l’unique secours dont vous pouvez espérer quelque avantage, va peut-être vous venir de l’Église elle-même ; car, tout le monde en cause, l’ancienne querelle entre notre évêque, Mgr Bergerot, et le recteur de Valmarie, le tout-puissant père Crabot, vient de prendre une gravité aiguë, justement au sujet de l’affaire Simon… Mon sentiment est que le père Crabot est la sournoise intelligence, la main invisible, que vous sentez dans l’ombre et qui mène toute l’affaire. Certes, je ne l’accuse pas d’être le coupable ; mais il est à coup sûr la volonté et la force qui couvrent ce coupable. Et en nous attaquant à lui, nous frappons à la tête… Sans compter que nous aurons l’évêché avec nous. Oh ! pas ouvertement ; mais n’est-ce donc rien qu’un tel appui, même secret ?

Marc eut un sourire de doute, comme s’il eût voulu dire qu’on n’avait jamais l’Église avec soi, dans les œuvres de vérité et de justice humaines. Pour lui aussi, d’ailleurs, le père Crabot était l’ennemi ; et remonter jusqu’à cet homme, tâcher de le détruire, c’était en effet le vrai combat. Ils causèrent donc du père Crabot, de son passé, que poétisait toute une légende, assez mystérieuse. On le croyait petit-fils naturel d’un général célèbre, d’un prince du Premier Empire ; et cela, dans son pieux sacerdoce d’aujourd’hui, mettait, pour les âmes patriotes, une gloire retentissante de batailles et de conquêtes. Mais l’histoire de sa vocation, la façon romanesque dont il était entré dans les ordres, touchait les cœurs davantage encore. À trente ans, riche, galant, beau cavalier, il allait épouser une veuve adorable, une duchesse de grand nom et de grande fortune, lorsque la mort brutale avait fauché cette duchesse en sa fleur. Comme il le disait, ce coup de foudre l’avait jeté aux bras de Dieu, en lui montrant l’amer néant des joies de ce monde. Et il avait gagné à cela la