Page:Zola - Vérité.djvu/193

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crasse ignorance, dans le mensonge, pour n’être toujours que le bétail à tondre et à égorger. Et l’Église, imprudente, ne se cachant plus, achevait sa conquête au grand soleil, multipliait partout les troncs de saint Antoine de Padoue, à grand renfort de réclames et d’affiches, distribuait ouvertement aux communes des drapeaux ornés de l’emblème sanglant du Sacré-Cœur, ouvrait des écoles congréganistes en face des écoles laïques, s’emparait même de ces dernières, où les instituteurs et les institutrices étaient souvent des créatures à elle, travaillant pour elle, par lâcheté ou par intérêt. Elle était maintenant, vis-à-vis de la société civile, sur le pied de guerre ouvert. Elle battait monnaie pour soutenir sa guerre, des congrégations s’étaient faites industrielles et marchandes, une seule, celle du Bon Pasteur, réalisait un bénéfice d’une douzaine de millions par an, avec les quarante-sept mille ouvrières, exploitées dans les deux cent dix ateliers de ses ouvroirs. Elle vendait de tout, des ligueurs et des souliers, des remèdes et des meubles, des eaux miraculeuses et des chemises de nuit brodées, pour les maisons de tolérance. Elle faisait argent de tout, elle prélevait l’impôt le plus lourd sur la stupidité et la crédulité publiques, par ses faux miracles, par l’exploitation continue de son paradis menteur, de son Dieu de caprice et de méchanceté. Elle devenait riche à milliards, maîtresse de domaines immenses, ayant en caisse assez d’argent pour acheter les partis, les jeter les uns contre les autres, triompher au milieu des ruines et du sang de la guerre civile. Et la lutte se posait terrible, immédiate, aux yeux de Marc, qui jamais n’avait senti avec cette force la nécessité pour la France de tuer l’Église, si la France ne voulait pas être tuée par elle.

Tout d’un coup, il revit les Bongard, les Doloir, les Savin, les Milhomme, il les entendit bégayer leurs pauvres raisons de lâches cœurs et d’esprits empoisonnés, se réfugier dans l’ignorance