Page:Zola - Vérité.djvu/220

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c’était d’un miracle, quelque légende absurde, source de ténèbres : un saint ou une sainte délivrant un pays par la force de la prière, une intervention de Jésus ou de Marie assurant aux riches la propriété de ce monde, un prêtre dénouant d’un signe de croix les difficultés sociales et politiques. Toujours on faisait appel à l’obéissance, à la résignation des humbles, tandis que passaient dans un ciel d’orage les coups de foudre d’un Dieu irrité et méchant. L’épouvante régnait, la peur de Dieu, la peur du diable, la peur basse et laide qui prenait l’homme dès l’enfance, le courbait jusqu’au tombeau, au travers de l’épaisse nuit de l’ignorance et du mensonge. On ne fabriquait ainsi que des esclaves, de la chair bonne à être utilisée pour le caprice du maître, et de là venait la nécessité de cette éducation de foi aveugle, de perpétuelle extermination, afin d’avoir des soldats toujours prêts à défendre l’ordre des choses établies. Mais quelle conception surannée, que de mettre dans la guerre l’unique culture de l’énergie humaine ! Cela pouvait correspondre à des temps sociaux, où l’épée seule tranchait les questions de peuple à peuple, de roi à sujets. Aujourd’hui, si les nations se gardent encore, et formidablement, dans l’affreux malaise d’une fin de monde, qui oserait dire que la victoire restera aux peuples guerriers ? qui ne voit au contraire que le triomphateur de demain battra les autres sur le terrain économique, en réorganisant le travail et en apportant à l’humanité plus de justice et de bonheur ? Il n’était qu’un rôle digne de la France, achever la Révolution, être l’émancipatrice. Aussi cette pensée étroite qu’il fallait quand même et uniquement faire des soldats, soulevait-elle Marc de douleur et de colère. Au lendemain de nos désastres, un tel programme avait encore son excuse ; et, pourtant, tout le malaise, toute l’abominable crise actuelle venait de là, de l’espoir suprême mis dans l’armée, de l’abandon d’une démocratie aux mains