Page:Zola - Vérité.djvu/25

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rare exemple d’avancement rapide parmi les instituteurs du pays.

Marc, qui n’aimait guère les juifs, par une sorte de répugnance et de méfiance ataviques, dont il n’avait jamais eu la curiosité d’analyser les causes, malgré sa grande libération d’esprit, gardait pourtant à Simon, qu’il tutoyait, un amical souvenir de leur rencontre à l’École normale. Il disait de lui qu’il était fort intelligent, très bon instituteur, pénétré de ses devoirs. Mais il le trouvait trop méticuleux, trop attaché à la lettre, esclave du règlement, plié à l’étroite discipline, toujours tourmenté par la crainte d’être mal noté, de ne pas satisfaire ses chefs. Et il constatait là, chez lui, la terreur, l’humilité de la race, sous la persécution de tant de siècles, gardant la continuelle angoisse de l’outrage et de l’iniquité. D’ailleurs, Simon avait des raisons d’être prudent, car sa nomination à Maillebois, dans cette petite ville cléricale, où il y avait une école des frères et une communauté puissante de capucins, avait presque été un scandale. Aussi ne se faisait-il pardonner d’être juif que grâce à beaucoup de correction et surtout à un patriotisme ardent, exaltant dans sa classe la France armée, la rêvant glorieuse, maîtresse du monde.

Brusquement, Simon parut, amené par Mignot. Petit, maigre et nerveux, il avait les cheveux roux, coupés courts et la barbe rousse. Les yeux bleus étaient doux, la bouche était fine, sous le nez de la race, grand et mince ; mais la physionomie restait assez ingrate, vague, brouillée, d’aspect chétif. Et, en ce moment, il était si bouleversé par l’affreuse nouvelle, qu’on aurait dit un homme ivre, chancelant, bégayant, les mains tremblantes.

— Est-ce possible, grand Dieu ! une telle atrocité, une monstruosité pareille !

Lorsqu’il fut devant la fenêtre, il resta comme anéanti, les yeux sur le petit corps, ne trouvant plus une parole, continuant