Page:Zola - Vérité.djvu/253

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Un fait extraordinaire s’était produit : Lemarrois, le maire, l’ancien ami de Gambetta, le député intangible de Beaumont, s’était trouvé mis en ballottage par un candidat socialiste, l’avocat Delbos, que sa plaidoirie dans l’affaire Simon avait désigné aux faubourgs révolutionnaires ; et, au second tour, il ne l’avait emporté que d’un millier de voix. Pendant ce temps, la réaction monarchique et catholique conquérait un siège, le bel Hector de Sanglebœuf réussissait à faire passer un général de ses amis, grâce aux fêtes qu’il donnait à la Désirade, distribuant sans compter l’or juif de son beau-père, le baron Nathan. Et l’aimable Marcilly, l’espoir autrefois de la jeunesse lettrée, avait achevé adroitement, pour être réélu, son évolution vers l’Église accueillante, toute désireuse de conclure un nouveau pacte avec la bourgeoisie, que terrifiaient les progrès du socialisme. Après avoir accepté l’égalité politique, la bourgeoisie ne voulait pas de l’égalité économique, car elle entendait garder le pouvoir usurpé, ne rien rendre de ce qu’elle possédait, résolue à s’allier plutôt avec ses anciens adversaires, pour résister à la poussée d’en bas. De voltairienne, elle devenait mystique, elle recommençait à trouver que la religion avait du bon, qu’elle était une police d’une utilité indispensable, une barrière nécessaire, seule capable d’arrêter encore les appétits grandissants du peuple. Et elle se pénétrait ainsi peu à peu de militarisme, de nationalisme, d’antisémitisme, de toutes les formes hypocrites sous lesquelles cheminait le cléricalisme envahisseur. L’armée simplement, l’affirmation de la force brutale, consacrant les vols séculaires, le mur inexpugnable de baïonnettes, derrière lequel la propriété et le capital digéraient en paix. La nation, la patrie était l’ensemble des abus et des iniquités auquel on ne pouvait toucher sans crime, le monstrueux édifice social dont il était défendu de changer une simple poutre, dans la terreur d’un écroulement