Page:Zola - Vérité.djvu/302

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la femme du passé, toute pleine de l’erreur séculaire, contre l’homme de pensée libre, en marche vers l’avenir. Et les événements voulus, inévitables, se produisirent.

Maintenant, l’intimité de Marc et de Geneviève s’attristait de jour en jour, cette intimité autrefois si tendre et si gaie, de continuels baisers au milieu de grands rires. Ils n’en étaient pas encore aux querelles ; mais, dès qu’ils restaient seuls, inoccupés, sans la distraction des gens et des choses, ils éprouvaient une sorte de gêne, comme s’ils avaient craint d’en venir aux mauvaises paroles, à la moindre contrariété. Ils sentaient grandir entre eux tout un inconnu qu’ils taisaient et qui de plus en plus les glaçait, les rendait ennemis. Pour lui, c’était la sensation croissante d’avoir là, mêlée à son existence de chaque heure, et jusque dans ses bras, au lit, une étrangère dont il condamnait les idées et les sentiments ; et, pour elle, c’était une sensation pareille, l’exaspérante certitude d’être jugée en enfant ignorante et déraisonnable, adorée encore, mais d’un amour où il entrait beaucoup de douloureuse pitié. Les premières blessures étaient prochaines.

Un soir, au lit, dans les tièdes ténèbres, comme il la tenait en une muette étreinte, ainsi qu’une enfant boudeuse, elle finit par éclater en gros sanglots.

— Ah ! tu ne m’aimes plus !

— Comment, je ne t’aime plus, ma chérie ! Pourquoi me dis-tu cela ?

— Est-ce que, si tu m’aimais, tu me laisserais dans l’affreux chagrin où je suis ?… Chaque jour, tu te détaches un peu de moi. Tu me traites en pauvre tête, comme si j’étais une malade et une folle. Rien de ce que je dis ne semble plus compter, et tu commences à en hausser les épaules… Va, je le sens bien, tu t’impatientes, je deviens un souci et une gêne.