Page:Zola - Vérité.djvu/47

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plus arides. Il arrivait à passionner la grammaire et l’arithmétique, les rendait pour ses élèves intéressantes comme des contes. Et il était vraiment l’instituteur-né.

Ce don de l’enseignement, il l’avait découvert en lui, lorsque bachelier à dix-sept ans, il était venu terminer son apprentissage de dessinateur lithographe, chez les Papon-Laroche, à Beaumont. Chargé de l’exécution de tableaux scolaires, il s’était ingénié à les simplifier encore, il avait créé de véritables chefs-d’œuvre de clarté et de précision, qui lui avaient indiqué sa voie, son bonheur à instruire les petits de ce monde. C’était aussi chez les Papon-Laroche qu’il avait connu Salvan, le directeur actuel de l’École normale, et que celui-ci, frappé de sa vocation, l’avait approuvé d’y céder complètement, en devenant l’humble instituteur primaire qu’il était aujourd’hui, convaincu de la noble utilité de son rôle, heureux de le remplir au fond d’un village ignoré. Son amour des pauvres intelligences ensommeillées avait fait sa vie. Aussi, dans sa fonction modeste, sa passion de la vérité ne faisait-elle que grandir, comme un besoin de plus en plus impérieux. Elle finissait par être sa santé, son existence elle-même, car il ne vivait normalement qu’en elle. Et c’était ainsi que, du moment où il ne possédait pas la vérité, il tombait en détresse, en angoisse, torturé par la nécessité immédiate de la conquérir, de l’avoir à lui tout entière, pour l’enseigner aux autres, sous peine de ne plus vivre, de passer les jours dans un intolérable malaise moral et même physique.

Et de là était né à coup sûr le tourment qui le faisait veiller, près de sa femme endormie. Il souffrait de ne pas savoir, de ne pas comprendre, égaré dans les affreuses ténèbres de ce viol et de ce meurtre d’un enfant. Et il n’était pas seulement en présence d’un crime ignoble, il sentait derrière des profondeurs confuses et menaçantes, tout un abîme obscur. Allait-il donc souffrir ainsi,