Page:Zola - Vérité.djvu/519

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comme il accusait formellement Jacquin d’avoir lu tout haut la lettre aux jurés, en la commentant, celui-ci fut rappelé, et une discussion très vive s’engagea entre eux. Gragnon finit par faire surprendre l’architecte en délit d’erreur ou d’oubli, sur le fait de cette lecture à haute voix. Puis, il triompha, tandis que l’auditoire huait l’honnête homme, soupçonné dès lors de s’être vendu aux juifs. Vainement, Delbos était intervenu à plusieurs reprises, s’efforçant d’exaspérer Gragnon, de le démasquer, en l’acculant à un éclat, à la production de cette fameuse pièce qui devait être la foudre. Très maître de lui, satisfait d’avoir échappé au danger immédiat, en jetant un doute sur la véracité de son adversaire, l’ancien président retomba dans ses réponses évasives. On remarqua pourtant qu’un des jurés lui fit poser une question, à laquelle personne ne comprit rien : N’avait-il pas eu connaissance d’une autre manœuvre de Simon, pour donner au modèle d’écriture toute l’authenticité voulue ? Et il répondit énigmatiquement qu’il s’en tenait à ses déclarations précédentes, sans vouloir entrer dans un nouvel ordre de faits, si certains qu’ils pussent être. En somme, la journée qui s’annonçait comme devant achever de ruiner l’accusation, fut bonne pour elle. Le soir, chez Marc, on se remit à désespérer.

Pendant quelques audiences encore, l’interrogatoire des témoins traîna. Le médecin, chargé de se rendre près du frère Fulgence, pour examiner son état de santé, était revenu avec un rapport concluant à un état grave, qui interdisait tout déplacement. De même, le père Crabot avait réussi à s’éviter l’embarras d’une comparution, en prétextant un accident brusque, une entorse au pied. Inutilement, Delbos déposa des conclusions pour qu’il fût interrogé par commission rogatoire : le président Guybaraud, si flegmatique au début, sabrait tout maintenant, avec la hâte évidente d’en finir. Et il rudoyait Simon lui-