Page:Zola - Vérité.djvu/613

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la malade ne pouvait quitter son lit. Il fit de vains efforts, il finit par prendre peur, il courut à la mairie conter les choses, sentant le besoin de ne pas engager davantage sa responsabilité. On alla tout de suite prévenir Louise, chez Mlle Mazeline, et le hasard voulut que Marc et Geneviève fussent précisément venus de Jonville, inquiets des dernières nouvelles.

Alors, ce fut tragique. Toute la famille se rendit place des Capucins. La porte ne cédant toujours pas, on fit venir un serrurier qui déclara ne rien pouvoir, les verrous étant sûrement mis. Il fallut appeler un maçon, qui descella les gonds, à coups de pioche. La maison, muette à chaque coup, retentissait comme un caveau muré. Et quand on eut arraché la porte, Marc et Geneviève, suivis de Louise, rentrèrent avec un mortel frisson dans cette demeure familiale, où l’on n’avait plus voulu d’eux. Il y régnait une humidité glaciale, ils eurent grand-peine à pouvoir allumer une bougie. En haut, sur son lit, et droite toujours, le dos appuyé contre des oreillers, ils trouvèrent Mme Duparque morte, tenant entre ses maigres et longues mains crispées un grand crucifix. Elle avait sûrement trouvé la suprême énergie, en un effort surhumain de quitter son lit, de descendre pousser les verrous, pour que personne au monde, pas même un prêtre, ne la dérangeât plus dans son intimité dernière avec son Dieu. Et elle était remontée, et elle était morte. Frissonnant, le père Théodose était tombé à genoux, bégayant une prière. Mais il restait éperdu, comprenant qu’il n’y avait pas là seulement la fin d’une terrible vieille femme, d’une grandeur farouche dans sa foi intransigeante, mais que c’était aussi toute l’intolérante religion de superstitions et de mensonges qui mourait. Et Marc, entre les bras duquel Geneviève et Louise, terrifiées, se réfugiaient, sentit passer comme un grand souffle, l’éternelle vie renaissant de cette mort.