Page:Zola - Vérité.djvu/655

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avec une audace de beau criminel. Désormais, il se trouvait à l’abri des conséquences de son double crime, car il venait de mourir, desséché, la face comme labourée sous des griffes invisibles, et cette mort était sûrement une des causes qui avaient décidé le médecin Beauchamp à parler. Marc et David pensaient depuis longtemps que l’affaire Simon se réglerait, le jour où les personnages compromis auraient disparu. L’ancien juge d’instruction Daix était mort lui aussi, l’ancien procureur de la République Raoul de La Bissonnière venait d’être mis à la retraite, après une belle carrière, avec la croix de commandeur. À Rozan, le conseiller Guybaraud, qui avait présidé les assises, frappé d’hémiplégie, se mourait, entre son confesseur et une servante-maîtresse, tandis que Pacart, l’ancien démagogue devenu procureur de la République, malgré une louche histoire de tricherie au jeu, avait quitté la magistrature pour occuper à Rome, auprès des congrégations, une situation assez mystérieuse de conseiller judiciaire. De même, à Beaumont, dans la politique, l’administration, le clergé, l’université même, le personnel se trouvait changé presque complètement, d’autres acteurs avaient succédé aux Lemarrois, aux Marcilly, aux Hennebise, aux Bergerot, aux Forbes, aux Mauraisin. Et, les complices directs, le père Philibin et le frère Fulgence étant, l’un mort mystérieusement au loin, l’autre disparu mort aussi peut-être, il ne restait donc que le père Crabot, le grand chef, mais rayé du nombre des vivants, disait-on, enfermé dans une cellule ignorée, où il faisait grande pénitence.

Alors, dans ce milieu social renouvelé, à un moment politique absolument autre, où les passions n’étaient plus les mêmes, Delbos finit par agir avec une prompte énergie, dès qu’il eut entre les mains le dossier dont il voulait être armé. Il avait acquis à la Chambre une situation considérable, il remit son dossier au ministre de la Justice,