Page:Zola - Vérité.djvu/687

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C’était là, au fond, ce qui blessait le plus Savin, cette hospitalité reçue chez son fils, cette fin heureuse chez un enfant qui avait réussi par un grand effort personnel, démentant de la sorte son éternelle récrimination, son regret de ne s’être pas donné aux curés, malgré la haine dont il les poursuivait. Il se fâcha, il cria :

— En somme, vous pouvez bien lui bâtir une cathédrale, à votre Simon. Je resterai chez moi, voilà tout.

Le triste Achille, torturé, venait d’avoir une plainte, que lui arrachaient ses douleurs dans les jambes.

— Hélas ! moi aussi, je resterai chez moi. Mais, tout de même, si je n’étais pas cloué sur ce fauteuil, j’irais avec toi, mon bon Léon, car je suis de la génération qui n’a pas fait peut-être tout son devoir, mais qui ne l’a pas ignoré et qui est prête à le faire.

Ce fut sur cette parole que Marc et Adrien s’en allèrent, ravis, certains du succès. Et, quand Marc se trouva seul, retournant chez sa fille Louise par les larges voies du quartier neuf, il revécut tout ce qu’il venait de voir et d’entendre, tandis que les souvenirs d’autrefois lui servaient à mesurer le long chemin parcouru. L’histoire entière de sa vie, de son effort, de son triomphe se déroulait. D’abord, il y avait quarante ans, c’était chez les Bongard, chez les Doloir, chez les Savin, l’ignorance première, brute chez le paysan, moins épaisse chez l’ouvrier, dégagée davantage chez le petit employé, mais hantant les trois d’égoïsme aveugle, de sottise et de peur. Puis, une autre génération était venue, qui, grâce à l’instruction rationnelle, avait gagné en raison et en courage, sans avoir encore la force de penser et d’agir sainement. Puis, les enfants des enfants, gagnant toujours en logique, en certitude, étaient sortis de l’école libérés du mensonge et de l’erreur, désormais assez forts pour tenter la grande œuvre de liberté humaine. Et les enfants de ceux-ci, en train de pousser, promettaient déjà d’en