Page:Zola - Vérité.djvu/698

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hommes, comme je me suis confessé à Dieu, dans la pensée de rendre mon salut plus glorieux encore. D’ailleurs, cette foule m’exaspère, elle ne sait rien ni des gens ni des choses, elle répète mon nom avec exécration, comme si j’étais le seul coupable ; et elle verra bien que non, je vais tout lui dire !

Malgré ses soixante-dix ans passés, il monta d’un saut sur le mur bas où était scellée la grille de la maison votive au seuil de laquelle Simon, l’innocent, allait triompher. Puis, se tenant d’un bras à cette grille, il se retourna, il fit face à l’immense auditoire. Depuis une heure qu’il se promenait au travers des groupes, il venait en effet d’entendre son nom sortir de toutes les lèvres, maudit, devenu infâme. Et une fièvre sombre peu à peu l’exaltait, cette bravoure du beau bandit qui ne renie aucun de ses actes, qui voudrait les jeter à la face des hommes, dans une folie d’orgueil d’avoir osé les commettre. Mais, surtout, ce dont il souffrait, c’était de s’entendre nommer seul, de porter tout le poids de l’exécration publique, lorsque les autres, les complices, semblaient oubliés déjà. La veille encore, à bout de ressources, il avait voulu forcer la porte du père Crabot, enfermé dans son domaine de la Désirade, et il s’était fait jeter dehors, en emportant une pièce de vingt francs, la dernière, lui avait-on dit. Personne ne criait le nom du père Crabot, au milieu des outrages. Pourquoi donc, lorsque lui-même était prêt à expier ses fautes, le père Crabot n’aurait-il pas expié les siennes ? Sans doute, tout dire ne lui ferait pas tirer de ce lâche vingt francs de plus ; mais il tenait au fond davantage à sa haine qu’à l’argent, et ce serait bien de jeter son ennemi aux flammes de l’enfer, tout en gagnant les délices du paradis, par l’humiliation de cette confession publique dont l’idée depuis quelque temps le hantait.

Alors, une chose inattendue, extraordinaire, commença. D’un geste violemment élargi, Gorgias sembla vouloir