Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/103

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se transformer. Tout d’abord la douleur avait été purement physique qui n’affectait que les organes des sens pour les exacerber ; puis elle avait provoqué une dépression morale. L’abattement s’était changé en souffrance psychique. Par une extraordinaire progression, ce sentiment de douleur correspondait non plus seulement à chaque excitation particulière, mais à une sorte d’excitation générale et perpétuelle, causée par l’ensemble des choses ; ce fut véritablement la douleur cosmique. Mais en celui qui a pu assumer à lui seul le fardeau de la douleur universelle, et qui fut assez robuste pour la soutenir à travers les siècles, en celui-là, dis-je, les hommes ont cru trouver le symbole du Christ. Quant à un être terrestre et mortel, il ne peut que se briser sous un tel poids. La vie tenait ici sa vengeance : elle avait refoulé celui qui l’avait niée jusqu’aux confins de son propre moi, l’acculant à l’épouvante devant l’abîme de sa propre poitrine, dans une tragique confrontation avec la mort et la folie. L’organisme physique et poétique de Verhaeren était comme surchauffé à un point extrême, plein de dangers. Cette extase ardente et fiévreuse — celle d’un flagellant — avait amené son sang à un haut degré d’ébulli-