Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/189

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preuve, s’il n’a pas réalisé le pathétique lui-même. Et cela est déjà un effort considérable qu’on ne saurait oublier.

Son héritage, mal administré par les bavards et les chauvins, par Déroulède et par les autres poètes de tambours et de fanfares, c’est aujourd’hui Verhaeren, en France, qui s’en est emparé. Il est le premier dont la parole est allée à la foule, la première réalisation française d’un pathétique dont l’action est strictement artistique et poétique. Aucun sentiment ne l’émeut d’une joie plus profonde, que celui de la résistance vaincue. Cet « évocateur prodigieux », ainsi que l’appela Bersaucourt[1], donne à sa phrase, mieux que quiconque, une forme vibrante et persuasive. Lorsqu’on lit un de ses poèmes, on se surprend, après quelques moments de silence, à prononcer les vers d’une voix de plus en plus sonore : la main, le corps tout entier s’agitent nerveusement, comme pour ébaucher un geste d’adjuration, un appel à la foule. Car le sentiment qui les inspire est si ardent, que la phrase écrite n’en altère pas la

  1. Albert de Bersaucourt, Conférence sur Émile Verhaeren.