Page:Zweig - Émile Verhaeren, sa vie, son œuvre.djvu/63

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transmutation de la valeur du beau. La beauté doit être recherchée dans la vérité, dans la réalité. Il faut, pour réussir, à toute doctrine nouvelle, une forte dose d’exagération. Le souci du réalisme excessif amena le jeune Verhaeren, dans la description qu’il faisait de son pays, à en écarter soigneusement tout l’élément sentimental et romantique, pour n’exprimer poétiquement que l’aspect brutal, naturel, primitif. Car la haine du doux, du mièvre, de l’arrondi, du paisible, est dans le sang de Verhaeren. Sa nature fut toujours de flamme. Toujours, aux brutales provocations, il aima riposter par des coups véhéments. Il a l’amour naïf de la brutalité, de la rudesse, de l’âpreté ; il a un penchant pour l’anguleux, l’éclatant et l’intense ; il adore le sonore et le bruyant. Il n’a acquis le galbe et la pureté classiques que dans ses tout derniers volumes, où son sang semble s’être apaisé. Dans ce temps-là, il avait horreur du tableau de genre, cette même horreur qui, en Allemagne, se manifesta contre les Tyroliens de salon de Defregger, contre les paysans pommadés d’Auerbach, contre la mythologie tirée à quatre épingles des sujets « poétiques ». C’est consciemment — en vrai rebelle — qu’il insistait sur