Pausanias, Elide-1, chapitre XXI

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Traduction par M. Clavier.
J.-M. Eberhart (3p. 167-180).

CHAPITRE XXI.


Statues érigées aux Athlètes vainqueurs. Statues de Jupiter, érigées du produit des amendes payées par les Athlètes condamnés pour avoir enfreint les lois. Portique d'Écho.

ME voici maintenant arrivé à la description des statues érigées à des particuliers, et de celles qui sont des offrandes aux dieux. Je n'ai pas cru devoir mêler ce que j'ai à en dire, comme je l'ai fait en décrivant la citadelle d'Athènes : dans cette dernière, en effet, les statues d'hommes sont comme tout le reste, des offrandes faites à la Divinité, tandis que dans l'Altis, les statues érigées en l'honneur du dieu se distinguent des statues d'hommes qui sont, par elles-mêmes, une espèce de récompense accordée aux vainqueurs. Je vais d'abord passer en revue les offrandes les plus remarquables, et je parlerai ensuite des statues.

En prenant le chemin qui conduit du Métroüm au Stade, vous trouvez sur la gauche et à l'extrémité du mont Cronius, un soubassement en pierre qui est au pied de la montagne, et sur lequel on monte par des degrés. Près de ce soubassement sont des statues en bronze de Jupiter, qui ont été érigées du produit des amendes auxquelles ont été condamnés des athlètes qui s'étaient mal comportés dans les jeux. Ces statues sont connues des gens du pays sous le nom de Zanes.

Les six premières furent érigées dans la quatre-vingt-dix-huitième olympiade. Eupolus de Thessalie corrompit par argent ses antagonistes au pugilat, savoir; Agétor Arcadien, Prylanès de Cyzique, et Phormion d'Halicarnasse, qui avait remporté le prix en la précédente olympiade. C'est-là, dit-on, le premier délit que des athlètes aient commis dans les jeux, et Eupolus ainsi que ceux qui avaient reçu ses présents sont les premiers que les Éléens aient condamnés à l'amende. Deux de ces statues sont de Cléon de Sicyone ; je ne sais pas de qui sont les quatre qui suivent.

Toutes, excepté la troisième et la quatrième, portent des inscriptions en vers élégiaques. La première de ces inscriptions enseigne que ce n'est pas à prix d'argent, mais par la légèreté des pieds et la vigueur du corps qu'on doit mériter la victoire à Olympie. Le sens de la seconde est que cette statue est un monument de la piété des Éléens, qui l'ont fait ériger pour honorer Jupiter, et pour effrayer les athlètes qui voudraient transgresser les lois. La cinquième contient des louanges générales pour les Éléens, et en particulier de ce qu'ils ont puni d'une amende ces athlètes ; la dernière enfin, porte que ces statues doivent servir de leçon à tous les Grecs, et leur apprendre que personne ne doit donner de l'argent pour obtenir la victoire à Olympie.

On dit que depuis, en la cent douzième olympiade, Callipus Athénien voulant concourir au pentathle, gagna à prix d'argent ceux qui devaient combattre contre lui. Les Éléens ayant condamné à l'amende Callipus et ses concurrents, les Athéniens envoyèrent Hypéride pour demander qu'on leur en fit la remise. Les Éléens s'y étant refusés, les Athéniens ne tinrent aucun compte de la sentence, ne payèrent point l'amende, et restèrent exclus des jeux olympiques jusqu'à ce qu'Apollon de Delphes leur eut dit qu'il ne leur rendrait point d'oracle qu'ils n'eussent satisfait les Éléens.

On fit de cet argent six autres statues de Jupiter avec des inscriptions en vers élégiaques, qui ne valent pas mieux que celles qui ont rapport à l'amende d'Eupolus. Le sens de ces inscriptions est pour la première, que ces statues ont été érigées, à cause de l'oracle du dieu de Delphes qui confirmait ce que les Éléens avoient statué au sujet des pentathles. La seconde et la troisième sont des éloges pour les Éléens de ce qu'ils ont condamné à l'amende ces athlètes.

Le sens de la quatrième est qu'il faut de la valeur et non de l'argent pour les combats olympiques. La cinquième explique les causes de l'érection de ces statues, et la sixième enfin rappelle l'oracle rendu aux Athéniens.

Après les statues dont je viens de parler, il y en a deux autres qui ont été faites du produit d'une amende à laquelle furent condamnés des athlètes lutteurs ; quant à leur nom, il a échappé à mes recherches et à celles des exégètes des Éléens. On lit aussi des inscriptions sur ces statues. La première dit que les Rhodiens ont payé une amende à Jupiter Olympien, pour le délit d'un athlète lutteur : et la seconde que des lutteurs s'étant laissés corrompre par des présents, cette statue a été faite du produit de l'amende à laquelle ils ont été condamnés.

Voici maintenant ce que les exégètes des Éléens racontent de plus sur ces athlètes. Ils disent qu'en la cent soixante-dix-huitième olympiade, Eudélus reçut de l'argent de Philostrate de Rhodes pour lui laisser remporter le prix ; mais j'ai trouvé le contraire dans les registres où les Éléens inscrivent les victoires olympiques. On y voit en effet qu'en la cent soixante-dix-huitième olympiade, Straton d'Alexandrie remporta dans le même jour le prix du pancrace et celui de la lutte. Alexandrie a été fondée par Alexandre fils de Philippe, sur la bouche Canobique du Nil. On dit qu'il y avait auparavant dans le même endroit une ville égyptienne nommée Rhacotis.

Déjà avant Straton trois athlètes avaient remporté en la même olympiade le prix de la lutte et celui du pancrace, et trois autres le remportèrent après lui. Les trois premiers sont Caprus, natif de l'Élide même, et deux Grecs des contrées au-delà de la mer Égée ; savoir : Aristomènes de Rhodes, et Protophanès de la Magnésie, sur les bords du fleuve Léthée : je quatrième, est Straton, dont il est ici question. Les trois derniers, Marion, aussi d'Alexandrie; Aristéas de Stratonice, ville qui, ainsi que son territoire, portait anciennement le nom de Chrysaoris, et enfin Nicostratus des côtes de la Cilicie, mais qui n'avait de Cilicien que le nom.

Ce Nicostratus en effet, d'une naissance assez illustre, avait été enlevé, encore enfant, de Prymnesse en Phrygie par des pirates, et avait été vendu à je ne sais quel habitant d'Égée; dans la suite celui qui l'avait acheté eut un songe, dans lequel il crut voir un lionceau couché sous le lit où dormait Nicostratus; en effet, lorsque celui-ci fut devenu grand, il remporta différentes victoires, soit au pancrace, soit à la lutte.

Les Éléens condamnèrent depuis d'autres athlètes à l'amende ; de ce nombre fut Apollonius d'Alexandrie en Égypte. On le surnommait Rhantis; c'est un usage presque universel à Alexandrie de prendre des surnoms. Il se livrait au pugilat et fut condamné en la deux cent dix-huitième olympiade. C'est le premier Égyptien que les Éléens aient convaincu d'avoir violé les lois, encore ne le condamnèrent-ils pas pour avoir donné ou reçu de l'argent, mais pour un délit d'un autre genre que je vais rapporter. Il n'était pas arrivé à l'époque fixée, et pour se conformer à la loi, les Éléens dévoient l'exclure des jeux. Il s'excusait en disant qu'il avait été retenu par les vents contraires dans les îles Cyclades ; mais Héraclide aussi d'Alexandrie, le convainquit de mensonge, et prouva qu'il n'était arrivé si tard que parce qu'il s'était arrêté en Ionie pour ramasser de l'argent en combattant dans les différents jeux publics.

Les Éléens, en conséquence, l'exclurent des jeux olympiques, lui et tous ceux qui n'étaient pas arrivés à l'époque fixée pour ceux qui s'exercent au pugilat, et ils décernèrent la couronne à Héraclide sans combat. Alors Apollonius qui s'était fait attacher ses cestes comme pour combattre, fondit sur lui et le frappa quoiqu'il eût déjà la tête ceinte d'olivier, et qu'il se fût réfugié parmi les Helladonices ; vivacité qu'il devait payer cher.

Il y a aussi deux statues faites par des sculpteurs de notre temps; car en la deux cent vingt-sixième olympiade, deux athlètes furent convaincus de s'être entendus, moyennant une somme, pour le prix du pugilat, et on les condamna à une amende, du produit de laquelle on fit faire deux statues de Jupiter, dont l'une est à gauche en entrant dans le Stade, et l'autre à droite. De ces deux athlètes, l'un se nommait Didas, et celui qui avait donné l'argent Sarapammon : ils étaient tous deux Égyptiens du nome Arsinoïte.

Il est surprenant sans doute que des étrangers aient assez peu respecté le dieu qu'on honore à Olympie, pour donner ou recevoir des présents et trafiquer ainsi des prix, mais il est bien plus étonnant qu'un Éléen ait osé en faire autant; ce fut cependant ce qui arriva, dit-on, à Damonicus, Éléen, en la cent quatre-vingt-douzième olympiade. Polyctor, fils de Damonicus, allait lutter pour la couronne avec Sosandre de Smyrne, fils d'un autre Sosandre. Damonicus désirant vivement que son fils obtînt le prix, donna de l'argent au fils de Sosandre;

cela ayant été découvert, les Hellanodices condamnèrent à l'amende non les enfants, mais les pères qui étaient les vrais coupables, et du produit de ces amendes on fit deux statues, dont l'une est dans le Gymnase et l'autre dans l'Altis, devant un portique appelé le Pœcile, a cause des peintures qu'on voyait anciennement sur ses murs. D'autres le nomment le portique d'Écho, parce que lorsqu'on crie, le son de la voix est répété sept fois et même plus.

On raconte qu'en la deux cent unième olympiade, un pancratiaste d'Alexandrie, nommé Carapion, eut une si grande frayeur de ses antagonistes, qu'il s'enfuit la veille du jour où les pancratiastes devaient être appelés. C'est le seul homme, parmi les Égyptiens, et même parmi les autres peuples qui sont admis aux jeux, qu'on se rappelle avoir été condamné à l'amende pour sa lâcheté. Telles sont, à ce qu'on m'a dit, les causes pour lesquelles ont été faites les statues dont j'ai parlé.