Pauvre Blaise/10

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Librairie Hachette et Cie (p. 140-160).



X

Le Retour de Jules


À l’approche de l’hiver, M. de Trénilly était parti pour Paris avec toute sa maison. Anfry, sa femme et Blaise furent enchantés de se retrouver seuls ; l’hiver se passa plus agréablement pour Blaise, dont chacun commençait à reconnaître la piété, la bonté et l’honnêteté. Blaise aurait pu profiter de ce retour de bienveillance pour faire des parties de jeu et de promenade avec ses camarades d’école ; mais il préférait travailler à la maison avec son père et sa mère. Ils causaient souvent de leurs anciens maîtres, mais jamais ils ne faisaient mention des nouveaux, car ils n’avaient pas de bien à en dire, et Blaise avait demandé à ses parents de n’en pas parler plutôt que d’en dire du mal.

« Si j’en parlais ou si je vous en entendais parler, papa, je ne pourrais peut-être pas m’empêcher de leur en vouloir de leur injustice, surtout à M. Jules, et je me sentirais de la colère, de la haine peut-être. Et comment pourrais-je faire ma première communion et recevoir Notre-Seigneur, si je ne pardonne de bon cœur à ceux qui m’ont fait du mal ? Notre-Seigneur a bien pardonné à ses bourreaux ; il a même prié pour eux. Je veux tâcher de faire comme lui.

— C’est bien, ce que tu dis là, mon Blaisot, lui dit son père en l’embrassant. Tu es plus sage que moi et ta mère… C’est qu’il ne nous est pas facile de pardonner à ceux qui ont fait du mal à notre enfant, qui l’ont fait passer pour un voleur, un méchant, un…

— Papa, papa, je vous en prie, dit Blaise d’un air suppliant, ne parlez que de Mlle Hélène, qui a été si bonne pour moi.

— Ah oui ! celle-là est une bonne demoiselle ! on ne risque rien d’en parler ; pas de danger de dire une méchanceté. »

« Une lettre », dit le facteur en entrant un matin. Et il en remit une à Anfry, qui l’ouvrit et lut ce qui suit :

« Tenez le château prêt pour nous recevoir, Anfry ; j’arrive avec mon fils lundi prochain. Soignez particulièrement la chambre de Jules, qui est souffrant depuis une chute de cheval. Je vous salue.

« Comte de Trénilly. »

« Lundi prochain, c’est dans quatre jours, dit Anfry. Je n’ai guère de temps pour tout préparer. Il faut nous y mettre tous dès aujourd’hui.

— C’est singulier, dit Blaise, il ne parle que de M. Jules et pas de Mlle Hélène ; est-ce qu’elle ne viendrait pas, par hasard ?

— Et où veux-tu qu’elle reste ? dit Mme Anfry. La place d’une jeune fille n’est-elle pas près de sa mère ! Au surplus, nous le verrons bien quand ils seront arrivés. »

Elle monta au château avec Anfry et Blaise. Pendant quatre jours ils ne firent que frotter, essuyer et ranger. Enfin, tout se trouva terminé le lundi dans la journée. « Je ne sais trop que faire, avait dit Anfry, pour soigner particulièrement l’appartement de M. Jules. Je l’ai frotté, essuyé, comme les autres ; je ne peux pas faire mieux.

— Laissez-moi l’arranger, papa, dit Blaise ; je vais y mettre des fleurs, qui le rendront plus gai. »

En effet, deux heures plus tard, la chambre de Jules avait pris un autre aspect ; il y avait des fleurs dans les vases, des corbeilles de fleurs sur les croisées, sur la commode. Blaise avait fait de son mieux, et il avait réussi.

Quand ils redescendirent l’avenue pour rentrer chez eux, ils n’attendirent pas longtemps l’arrivée du comte. Comme l’année d’avant, un courrier à cheval l’annonça ; la grille fut ouverte et la voiture roula dans l’avenue. Blaise avait vu M. de Trénilly dans le fond ; près de lui était Jules, pâle et maigre. La comtesse et Hélène n’y étaient pas. Blaise avait déjà su par des gens qui avaient précédé M. de Trénilly qu’Hélène était au couvent pour renouveler sa première communion, et que sa mère ne la ramènerait que dans le courant de juillet, deux mois plus tard. M. de Trénilly avait l’air encore plus sombre et plus sévère que l’année précédente.

« Ils n’apportent pas avec eux la gaieté, dit Anfry à sa femme en refermant la grille.

— Pourvu qu’on ne demande pas notre pauvre Blaisot pour désennuyer M. Jules, répondit Mme Anfry. C’est qu’il ne serait pas possible de le refuser.

— Ah ! bah ! ils n’y songeront seulement pas, reprit Anfry. Tu as donc oublié ce qu’ils en disaient ?… »

Mme Anfry avait bien deviné ; dès le lendemain, un domestique vint demander Blaise au château.

« Blaise est sorti, répondit sèchement Anfry.

Le domestique.

Où est-il ? ne pourrait-on pas l’avoir ? M. le comte m’a bien recommandé de le ramener avec moi.

Anfry.

Il est au catéchisme ; il n’en reviendra que pour dîner.

Le domestique.

Est-ce ennuyeux ! Monsieur va gronder, bien sûr, et M. Jules va être plus maussade que d’habitude.

Anfry.
Ah ! c’est M. Jules qui le demande. Il a donc oublié le mal qu’il en disait l’année dernière.
Le domestique.

L’année dernière n’est pas l’année qui court ; on a changé d’idées depuis, et M. Jules ne rêve plus que Blaise. Mlle Hélène a raconté bien des choses qu’on ne savait pas ; elle a tant parlé de la piété de Blaise et de ses bons sentiments pour sa première communion, que Monsieur et Madame ne redoutent plus sa compagnie pour M. Jules.

Anfry.

Mais c’est Blaise qui craint celle de M. Jules, et j’aimerais autant que chacun restât chez soi.

Le domestique.

Comme vous voudrez, monsieur Anfry. Je vais toujours dire à M. le comte que Blaise est sorti. »

Le domestique s’en alla, laissant Anfry et sa femme fort contrariés de cette lubie de Jules.

Quand Blaise fut de retour, et qu’il sut qu’on était venu le demander au château, le pauvre garçon eut peur et supplia son père de le laisser aller aux champs tout de suite après son dîner.

« Mais où iras-tu, mon pauvre Blaisot ?

— J’irai travailler aux champs avec les garçons de ferme, papa ; le fermier m’a tout justement demandé si je ne voulais pas venir en journée chez lui pour toutes sortes de travaux. Je suis grand garçon, maintenant ; je puis bien travailler comme un autre.

— Fais comme tu voudras, mon pauvre Blaise ; voici le domestique que j’aperçois enfilant l’avenue ; bien sûr, c’est encore pour toi. »

Blaise sauta de dessus de sa chaise et sortit par une porte de derrière pour ne pas être vu du domestique. Il courut à toutes jambes à la ferme et demanda de l’ouvrage ; on lui donna des vaches à mener à l’herbe et à garder jusqu’au soir. Le domestique arriva chez Anfry cinq minutes après que Blaise en était parti.

« Eh, bien, où est donc votre garçon ? dit-il en regardant de tous côtés. N’est-il pas encore revenu dîner ? M. le comte l’envoie chercher.

— Blaise est venu dîner, et il est reparti pour aller travailler à la ferme, où il est retenu pour l’été, dit Anfry d’un air satisfait et légèrement moqueur.

Le domestique.
Pourquoi l’avez-vous laissé partir, puisque je vous avais prévenu que M. le comte le demandait ?
Anfry.

Il est d’âge à travailler, et il faut qu’il s’habitue à gagner sa vie. Je n’ai pas de quoi le garder à fainéanter comme les enfants de M. le comte.

Le domestique.

Eh bien ! M. le comte sera content ! il va me donner un galop, et vous en aurez les éclaboussures bien certainement.

Anfry.

À la volonté de Dieu ! Je ne crains pas les gronderies quand je ne les mérite pas. »

Le domestique s’en retourna encore une fois en grommelant, et Anfry alla à son jardin ; tout en bêchant, il souriait en se disant :

« Blaisot a eu une bonne idée tout de même ! C’est qu’il n’est pas bête, ce garçon ! »

Mais M. de Trénilly ne se décourageait pas si facilement ; il voyait bien que Blaise ne venait pas parce qu’il ne s’en souciait pas, et que le travail à la ferme n’était qu’un prétexte. Cette résistance l’irritait sans le surprendre. D’après ce que lui avait raconté Hélène pour la justification du pauvre Blaise, il avait conçu de l’estime pour lui, et il commençait à croire que Jules avait pu être trompé par les apparences, et s’être mépris sur les intentions de Blaise. Jules, de son côté, qui ne pouvait s’empêcher de reconnaître la bonté et la complaisance de Blaise, parlait souvent du désir qu’il avait de le revoir et de l’avoir pour compagnon de jeux. M. de Trénilly admirait la générosité de son fils, qui oubliait les méfaits de Blaise, et il se promettait de satisfaire son désir dès qu’ils seraient de retour à la campagne. La maladie que fit Jules à la suite d’une chute de cheval dans une partie de cerises à Montmorency hâta ce retour. Jules demanda Blaise dès son arrivée, et il fut très-contrarié de devoir attendre au lendemain.

Ce fut bien pis quand il sut le lendemain que Blaise était au catéchisme, qu’il fallait l’attendre jusqu’à midi. Mais quand il vit une seconde fois revenir le domestique sans Blaise, et qu’il sut qu’il en serait de même tous les jours, il se mit à pleurer amèrement. Son père lui offrit vainement des livres, des couleurs et tout ce qui pouvait l’amuser. Jules pleurait toujours, refusait toute distraction, et ne cessait de demander Blaise. M. de Trénilly, qui l’aimait avec une faiblesse qu’il n’avait jamais montrée que pour ce fils indigne de sa tendresse, lui promit de faire en sorte de dégager Blaise de son travail de ferme et de le ramener dans une heure avec lui. Jules se calma d’après cette assurance, et resta tranquillement étendu dans son fauteuil. M. de Trénilly se rendit précipitamment à la maison d’Anfry : mais Anfry était sorti pour faire des fagots dans le bois.

De plus en plus contrarié, mais contenant son humeur, M. de Trénilly alla à la ferme et demanda Blaise. On lui dit qu’il était dans les prés à garder les vaches.

« Allez le chercher, dit M. de Trénilly ; remplacez-le par quelqu’un, j’ai besoin de lui tout de suite ; je l’attends ici. »

Et il s’assit sur une chaise que lui offrit la fermière, non sans quelque crainte ; l’air sombre et mécontent du comte la terrifiait ; aussi ne tarda-t-elle pas à s’esquiver sous un léger prétexte ; elle prévint ses enfants de ne pas entrer dans la salle, de peur de se faire gronder par M. le comte, qui n’avait pas l’air aimable, disait-elle, et elle alla voir qui on pourrait mettre à la place de Blaise.

Les enfants de la ferme, dont le plus âgé avait huit ans et le plus jeune quatre, se gardèrent d’abord d’entrer dans la salle ; mais la crainte fit bientôt place à la curiosité ; l’aîné, Robert, alla tout doucement regarder à la fenêtre pour voir comment était la figure peu aimable de M. le comte. Il recommanda à ses frères de l’attendre dehors et de ne pas bouger. Peu de minutes après il revint et leur dit à voix basse :

« Je l’ai vu ; il est affreux ; il a l’air méchant tout à fait. Il a levé les yeux, je me suis sauvé bien vite.

— Je vais y aller voir à mon tour, dit François ; il doit être effrayant.

— Va, mais ne fais pas de bruit ; qu’il ne t’entende pas, dit Robert ; il te battrait. »

François partit aussitôt et revint comme son frère, mais bien plus effrayé.

« Ses yeux brillent comme des chandelles, dit-il, je crois qu’il m’a vu ; il s’est levé et a regardé à la fenêtre comme s’il voulait sauter au travers ; je me suis sauvé ; j’ai eu bien peur.

— Laisse-moi aller aussi, dit Alcine, le plus jeune ; j’ai tant envie de voir ses yeux qui brillent !

— Va, Alcine, mais prends bien garde qu’il ne te voie. Reviens tout de suite. »

Alcine partit enchanté, quoique son cœur battît de frayeur. Il marcha sur la pointe des pieds en approchant de la fenêtre et chercha à voir, mais il était trop petit, il ne voyait rien. Alors il voulut grimper sur le rebord de la fenêtre et y réussit après beaucoup d’efforts. Le bruit qu’il faisait attira l’attention du comte, qui se leva et se dirigea vers la fenêtre au moment où Alcine parvenait à y monter. Le pauvre enfant poussa un cri de frayeur en voyant arriver à lui ce terrible croquemitaine dont ses grands frères avaient eu peur. Le comte, voyant l’enfant tout prêt à dégringoler, ouvrit précipitamment la fenêtre et le saisit par le corps. Le pauvre Alcine crut que c’était pour le dévorer, et il se mit à crier plus fort en appelant ses frères à son secours.

« Il me tient ! il va me manger ! Au secours ! au secours ! Robert, François, au secours ! »

Le comte, étonné de l’effet qu’il produisait, posa l’enfant par terre au moment où les frères, bravant le danger, accouraient, armés, l’un d’une fourche, l’autre d’un râteau. Ils ouvrirent précipitamment la porte et s’élancèrent sur le comte, qui, ne s’attendant pas à cette attaque, n’eut que le temps de se rejeter vivement au fond de la chambre. Il s’arma d’une chaise pour s’en faire un bouclier contre la fourche et le râteau qui cherchaient à l’embrocher et à l’assommer, pendant qu’Alcine tout tremblant se relevait et s’esquivait. Robert et François, voyant leur frère en sûreté, fondirent une dernière fois sur le comte, toujours armé de sa chaise ; la fourche et le râteau restèrent pris dans la paille de la chaise ; Robert, se voyant désarmé, entraîna son frère qui se trouvait également sans armes, et tous deux se précipitèrent hors de la chambre avec autant d’agilité qu’ils y étaient entrés. Le comte, revenu de sa surprise, voulut savoir ce qui avait causé cette attaque inexplicable ; il sortit, tourna autour de la maison, visita les bâtiments de la ferme et n’y trouva personne. Les enfants étaient bien loin en effet ; ils avaient couru tous les trois rejoindre leur mère, qui revenait avec Blaise ; ils lui racontèrent que le comte était si méchant et si furieux qu’il avait voulu manger Alcine.

« Il l’aurait mangé, maman, si Robert et moi nous n’étions arrivés avec une fourche et un râteau…

— Une fourche, un râteau ! contre M. le comte ! s’écria la mère effrayée. Jésus ! mon Dieu ! qu’est-ce qui va advenir de nous ?

Robert.

Il le tenait déjà par terre, maman ; il ouvrait une bouche énorme, et il avait de grandes dents blanches comme celles d’un loup !

François.
Et des yeux qui semblaient brûler ce qu’ils regardaient !
Alcine.

Et des grandes mains énormes qui me serraient d’une force !…

La fermière.

Jésus ! miséricorde ! Malheureux enfants ! Qu’avez-vous fait ? Prendre M. le comte pour un loup ! Mais est-ce croyable, cette sottise-là ?… Jamais il ne nous le pardonnera. Seigneur Dieu ! Que va-t-il me dire ? Ma foi, mon Blaise, vas-y tout seul, toi. Je n’oserais jamais, après ce qui s’est passé.

Robert.

Vous voyez bien, maman, que, vous aussi vous avez peur.

La fermière.

Mais c’est par rapport à vos fourches, petits nigauds. Je n’aurais pas eu peur sans cela.

François.

Et pourquoi donc, en vous en allant, nous avez-vous dit de ne pas y aller ? C’est que vous aviez peur qu’il ne nous fît du mal.

La fermière.

Hélas ! mon Dieu, que faire ? Va vite, Blaisot, puisqu’il t’a demandé ; va le trouver dans la salle et raconte-nous ce qu’il t’aura dit ; tu nous retrouveras dans la grange. »

Blaise aurait bien voulu ne pas y aller, ou du moins ne pas y aller seul, mais il n’osa pas désobéir aux ordres du comte et de la fermière et il Ils fondirent une dernière fois sur le comte, toujours armé de sa chaise se dirigea vers la ferme sans trop hâter le pas… Il arriva jusqu’à la salle, ouvrit lentement la porte et tressaillit d’aise : le comte n’y était plus.

« Il est parti, il est parti ! cria Blaise à la fermière et aux enfants ; vous pouvez venir, il n’y a plus de danger. »

À peine avait-il achevé ces paroles qu’il aperçut à dix pas de lui le comte sortant d’une bergerie. Il avait reconnu la voix de Blaise et s’empressait de lui parler pour l’emmener, lorsqu’il entendit le joyeux appel à la famille du fermier.

« Ah çà ! dit-il en fronçant le sourcil, pour qui me prend-on ici ? Un des marmots que j’empêche de tomber du haut de la fenêtre croit que je vais le manger ; deux autres m’attaquent avec une fourche et un râteau comme si j’étais une bête féroce. Et voilà que toi, Blaise, tu appelles, me croyant parti, en criant qu’il n’y a plus de danger ! Qu’est-ce que tout cela veut dire ?

— Monsieur le comte, dit Blaise un peu embarrassé, les enfants ont eu peur de vous déranger, et…, et…

Le comte, avec colère et ironie.

Et c’est pour ne pas me déranger qu’ils ont voulu m’assommer ?

Blaise.
Non pas, Monsieur le comte ; ils ont seulement voulu défendre leur petit frère.
Le comte.

Défendre contre qui ? Est-ce que je lui faisais du mal ? Ce petit imbécile criait sans savoir pourquoi.

Blaise.

Monsieur le comte, c’est que le petit est bien jeune, et…

Le comte.

Mais les autres sont assez grands pour savoir qu’on ne se lance pas contre un homme à coups de fourche, surtout quand cet homme est le maître de la maison. Mais où est la mère ? Amène-la-moi avec ses enfants. »

Blaise, enchanté d’être débarrassé d’une conversation aussi peu agréable, courut à la recherche de la fermière, qu’il trouva blottie dans un coin de la grange, entourée des enfants, qui osaient à peine respirer.

Blaise.

Madame François, M. le comte vous demande, et les enfants aussi.

La fermière.

Jésus ! Maria ! que va-t-il se passer ? que va-t-il dire ? que va-t-il faire ? Venez, mes enfants, mes pauvres enfants, il faut bien y aller puisqu’il l’ordonne. »

Les enfants, tremblants et en pleurs, suivirent leur mère en s’accrochant à son tablier ; elle entra dans la salle, traînant ses enfants, dont la peur redoubla quand ils se trouvèrent en face du redoutable comte. Il les attendait debout au milieu de la salle, les bras croisés et tenant une canne à la main. La fermière salua, balbutia quelques mots d’excuses, et attendit que le comte parlât.

« Approchez, polissons ! dit le comte d’une voix brève ; comment avez-vous osé me menacer de vos fourches ?

Robert.

J’ai cru que vous alliez manger Alcine ; c’est alors que nous avons foncé sur vous pour le dégager.

François.

Je vous prenais pour un ogre, tant vous aviez l’air sauvage et… mécontent.

Le comte, à la fermière.

Vous leur donnez de jolies idées sur mon compte ; je vous fais compliment de votre succès. Vous pouvez dire à votre mari qu’il n’a pas besoin de se déranger pour venir signer la continuation de son bail. Je vous renvoie à Noël. Et quant à ces mauvais garnements, je leur apprendrai à me respecter. »

Et dégageant sa canne, il leur en donna quelques coups en disant : « Chacun son tour ; voici pour la fourche, voilà pour le râteau ! »

Les pauvres enfants se sauvèrent en criant ; la mère les suivit en murmurant et en se félicitant d’avoir à quitter sous peu un si mauvais maître.

M. de Trénilly appela Blaise et lui commanda de le suivre. Blaise hésita un moment, mais il n’osa pas résister et suivit silencieusement, la tête baissée.