Pensées, essais et maximes (Joubert)/Titre XVI

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Librairie Ve le Normant (p. 366-394).
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TITRE XVI.

DES MŒURS PUBLIQUES ET PRIVÉES ; DU CARACTÈRE DES NATIONS.


I.

Les mœurs se composent de coutumes et d’habitudes. Les coutumes font les mœurs publiques, et les habitudes les mœurs individuelles. Si les mœurs publiques sont bonnes, les mœurs individuelles comptent pour peu, parce que la diffamation, qui les punit, en arrête les inconvénients. Mais, quand les mœurs publiques sont mauvaises, les bonnes mœurs particulières acquièrent une importance extrême. Elles en deviennent la censure, et quelquefois le correctif. Elles sauvent les principes par une sorte de protestation contre le siècle ; elles conservent le feu sacré, et le transmettent, comme un dépôt, à la génération qui suit. Les mœurs publiques sont un chemin que les successeurs trouvent frayé dans la course de la vie. Où il n’y a pas de mœurs, il n’y a pas de chemin ; chacun alors est obligé de frayer le sien, et, au lieu d’arriver, il s’épuise à chercher la route.

L’erreur principale ou la principale faute de la morale, comme doctrine veillant sur les institutions et les habitudes de la société, consiste à laisser subsister comme innocent ce qui est funeste aux mœurs publiques.

Les mœurs poétiques conviennent à l’individu isolé, les mœurs patriarcales à la famille, les mœurs graves à l’homme public, et les mœurs saintes au prêtre, au vieillard, au malade et au chrétien. Les mœurs poétiques sont celles de l’âge d’or ; les mœurs patriarcales celles de la bible, les mœurs graves ou austères celles de l’histoire, les mœurs saintes ou religieuses celles des légendes. Si donc nous voulons connaître tout ce qui est digne d’être imité, il faut faire des légendes une partie de nos études et de nos observations.

Les merveilles de la vie des saints ne sont pas leurs miracles, mais leurs mœurs. Ne croyez pas à leurs miracles, si vous le voulez, mais croyez du moins à leurs mœurs, car rien n’est mieux attesté.

Il y a des mœurs et des coutumes attachées à la nature humaine, et qui se trouveront toujours partout. On dit de tel usage qu’il est grec, romain ou barbare ; moi, je dis qu’il est humain, et que les hommes s’en avisent et l’inventent partout où ils en ont besoin.

Le genre humain est, dans sa masse, une chose mobile qui cherche à se mettre de niveau.

Il s’agit, en histoire, d’apprécier les hommes ; en politique, de pourvoir aux besoins de l’âme et du corps ; en morale, de se perfectionner ; en littérature, de réjouir et d’embellir son esprit par les clartés, les figures et les couleurs de la parole ; en religion, d’aimer le ciel ; en toutes choses, de connaître et d’améliorer toutes choses en soi. Cherchez donc dans l’histoire des hommes ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas ; dans la politique, ce qui est utile et ce qui ne l’est pas ; dans la morale, ce qui est juste et ce qui ne l’est pas ; dans la littérature, ce qui est beau et ce qui ne l’est pas ; dans les matières religieuses, ce qui est pieux et ce qui ne l’est pas ; en toutes choses enfin, ce qui rend meilleur ou ce qui rend pire.

Les temps sont pour nous comme les lieux ; nous vivons dans les uns comme dans les autres ; nous en sommes environnés ; ils nous touchent, nous emboîtent, et font toujours sur nous quelque impression. Des lieux malsains et des temps corrompus nous infectent de leur contagion.

Il faut être caillou dans le torrent, garder ses veines, et rouler sans être ni dissous, ni dissolvant. Nous sommes tous plus ou moins échos, et nous répétons, malgré nous, les vertus, les défauts, les mouvements et le caractère de ceux avec qui nous vivons.

L’exemple descend et ne monte pas.

Nous avons reçu le monde comme un héritage qu’il n’est permis à aucun de nous de détériorer, mais que chaque génération au contraire est obligée de laisser meilleur à la postérité.

Peu d’hommes sont dignes de l’expérience.

La plupart s’en laissent corrompre.

Demander la nature humaine infaillible, incorruptible, c’est demander du vent qui n’ait point de mobilité.

Attacher ses pensées à des événements passagers, qui les emportent avec eux, c’est graver sur le sable, écrire sur les ondes, et bâtir sur l’aile des vents.

Les véritables opinions et les véritables sentiments des hommes se forment lentement, de quelque chose d’habituel, et non pas de quelque chose de subit. La contrainte, ou, pour mieux dire, la retenue, est très-propre à les rendre plus sincères, plus vives, plus complètes et plus durables.

L’expérience de beaucoup d’opinions donne à l’esprit beaucoup de flexibilité, et l’affermit dans celles qu’il croit les meilleures.

Dans l’embarras de savoir quelle est l’opinion la plus vraie, il faut choisir la plus honnête.

Il y a des opinions qui viennent du cœur, et quiconque n’a aucune opinion fixe, n’a pas de sentiments constants. N’ayons que les opinions compatibles avec d’excellents sentiments. Le sentiment est juge en bonne logique, même dans les choses intellectuelles.

Il y a uniformité dans les mœurs, quand les proverbes sont cités, avec la même révérence, par les prudents de toutes les classes de la société.

Le peuple est capable de vertu, mais incapable de sagesse. Plus infaillible dans son estime que dans ses préférences, il sait connaître, mais ne sait pas choisir. Il y a plus de sens qu’on ne croit dans cette épigramme contre un boucher qui, ayant besoin d’un avocat, se rendit au palais, en la grand’salle, et y fit choix du plus gras.

« je pense comme ma terre », disait un propriétaire ; mot plein de sens, et dont on peut faire l’application chaque jour. Les uns pensent en effet comme leur terre, les autres comme leur boutique, quelques uns comme leur marteau, quelques autres comme leur bourse vide et qui aspire à se remplir.

Le vrai bourgeois est, par caractère, possesseur paisible et paresseux de ce qu’il a ; il est toujours content de lui, et facilement content des autres.

Dans les classes sans éducation, les femmes valent mieux que les hommes : dans les classes distinguées, au contraire, on trouve les hommes supérieurs aux femmes. C’est que les hommes sont plus susceptibles d’être riches en vertus acquises, et les femmes en vertus natives.

Le public vertueux et judicieux est seul le véritable public, le seul dont les suffrages puissent compter, et dont les jugements fassent loi.

La voix du peuple n’a d’autorité que lorsqu’elle est celle d’un peuple contenu. L’idée de la perfection est plus nécessaire aux hommes que les modèles, je ne veux pas dire seulement dans les arts, mais aussi dans les mœurs.

Il faudrait qu’il y eût, pour le peuple, une histoire secrète des bienfaits des rois, et, pour ceux-ci, une histoire secrète des justes châtiments que les peuples ont quelquefois infligés aux rois. Les rois ne devraient lire que celle-ci, et les peuples que celle-là.

Jamais les hommes, même malgré d’immenses bienfaits, n’aiment invariablement ceux qui les dépravent.

Le peuple hait ses vices dans les grands ; mais il aime dans les rois une bonté qui ressemble à la sienne. C’est que la sienne est la meilleure, comme ses vices sont les pires.

On veut que le pauvre soit sans défauts ; c’est que peut-être il lui serait facile d’être parfait. La misère éteint les passions, et l’abondance les nourrit. Les petits n’ont guère que des besoins.

Une belle conduite est plus aimable avec des hommes innocents, comme une belle voix a plus d’éclat dans les lieux où il y a de l’écho.

Il convient aux hommes savants d’être populaires, comme cela convient aux rois.

L’opposé des défauts de chaque siècle plaît dans ce siècle-là, lors même que c’est un défaut.

Toujours prête à condamner ses défauts dans les autres, la grossièreté ne pardonne qu’aux vices raffinés.

Le luxe des petits ruine l’état.

Tout luxe corrompt ou les mœurs ou le goût. Ce n’est pas le désir des vrais biens qui déprave l’homme, mais le désir de ceux qui sont faux. Jamais un peuple ne s’est corrompu, pour avoir du blé, des fruits, un air pur, des eaux meilleures, des arts plus parfaits, des femmes plus belles ; mais pour avoir de l’or, des pierreries, des sujets, de la puissance, un faux renom et une injuste supériorité.

Une idée de paix, aussi bien que d’intelligence, se mêle à celle de l’étude, qui la fait respecter et presque envier comme une félicité par les hommes même grossiers.

Rien n’est beau, après les armes, que l’étude ou la piété.

Quand on vous dira qu’un peuple est savant, examinez toujours à quel point il connaît le beau dans les arts. Un peuple qui veut se distinguer par les lettres, quand il n’est pas très ingénieux, est naturellement porté à se jeter dans le savoir ; c’est sa ressource. La nature donne plus de patience aux esprits qu’elle a créés moins pénétrants.

Plus un peuple est humoriste, plus il est vif et brusque, plus il a d’accent. Son accent annonce en quoi il est peu contenu. Les courtisans, habitués à se contraindre, n’ont point d’accent. Des âmes toujours égales, toujours calmes, toujours élevées, expriment aussi sans accent leurs sentiments et leurs pensées.

Jamais homme éminent n’a gardé pur, c’est-à-dire entier, l’accent de ses compatriotes.

Quand les peuples ont perdu cette heureuse disposition de l’enfance à craindre et honorer les pouvoirs qui sont invisibles, et qu’une audace d’esprit excessive les a mis au-dessus de toute crédulité, ils sont alors sortis de la sphère de l’ordre accoutumé ; ils ont dépassé les bornes en-deçà desquelles leur nature est bonne ; ils deviennent méchants.

Les peuples qui ont perdu la vertu et le vrai savoir, ne peuvent plus les recouvrer. Personne, à l’exception des véritables sages, ne veut retourner en arrière, même pour reprendre le bon chemin.

Tout ce qui se corrompt fermente.

Il y a des destructions fatales. Notre sagesse en cherche le remède, et c’est un de nos devoirs.

Mais quand le remède est trouvé, il survient d’autres maux. Le ciel fait ce qu’il veut et ce qu’il faut.

Le même sang-froid qui nous fait dire : « l’état est vieux, et il doit périr », serait propre à nous faire dire aussi : « mon père est âgé, et il doit mourir. » c’est un sang-froid qui n’est pas permis. Il y a dans chaque siècle, même dans les siècles les plus éclairés, ce qu’on peut, à juste titre, appeler l’esprit du temps, sorte d’atmosphère qui passera, mais qui, pendant sa durée, trompe tout le monde sur l’importance et sur la vérité même de la plupart des opinions dominantes.

Le peuple veut voir le prince au visage, c’est-à-dire examiner le lot qui lui est échu dans la loterie des destinées.

Il y a des hommes qui respectent la puissance, comme d’autres respectent la vertu ; ceux qui en sont revêtus, leur inspirent la même estime, le même amour, la même admiration.

Le pouvoir est une beauté ; il fait aimer aux femmes la vieillesse même.

La noblesse est une dignité due à la présomption que nous ferons bien, parce que nos pères ont bien fait.

Il y a, dans le naturel des hommes et des peuples, quelque chose de querelleur. Quand cet esprit de dispute et de contestation s’exerce sur des minuties, pourquoi gémir ? Ce sont là les siècles heureux. Le mal à craindre est celui qui attaque et qui dérange ce qu’il y a de fondamental dans l’ordre de la société.

En politique, il faut toujours laisser un os à ronger aux frondeurs.

Il semble que les peuples aiment les périls, et que lorsqu’ils en manquent, ils s’en créent.

Il s’exhale de tous les cris et de toutes les plaintes une vapeur ; de cette vapeur il se forme un nuage, et de ce nuage il sort des foudres et des tempêtes.

Les révolutions sont des temps où le pauvre n’est pas sûr de sa probité, le riche de sa fortune, et l’innocent de sa vie.

établissez la communauté, et vous aurez bientôt un peuple chasseur, guerrier, dévastateur, et une agriculture abandonnée aux esclaves.

Ce qui rend les guerres civiles plus meurtrières que les autres, c’est qu’on se résout plus facilement à avoir son ennemi pour contemporain que pour voisin : on ne veut pas risquer de garder la vengeance si près de soi.

Flatter le peuple dans les tempêtes politiques, c’est dire aux flots de gouverner le vaisseau, et au pilote de céder aux flots.

Ce qui vient par la guerre s’en retournera par la guerre ; toute dépouille sera reprise ; tout butin sera dispersé ; tous les vainqueurs seront vaincus, et toute ville pleine de proie sera saccagée à son tour. Il s’établit toujours de grandes liaisons entre les peuples qui se font de longues guerres.

La guerre est une espèce de commerce qui lie ceux même qu’elle désunit.

Les français naissent légers, mais ils naissent modérés. Ils ont un esprit leste, agréable et peu imposant. Parmi eux, les sages mêmes, dans leurs écrits, semblent être de jeunes hommes.

Hors des affections domestiques, tous les longs sentiments sont impossibles aux français.

Il n’y a pas de peuple au monde qui fasse le mal avec aussi peu de dignité que nous. Notre cupidité n’a que de l’étourderie, et nos apprêts de ruse ne sont qu’une fanfaronnade.

Dès que nous nous écartons de la droiture et de la générosité, nous sommes ridicules et déplaisants ; nos mesures sont étroites, nos projets mal concertés, notre maintien même devient aigrefin. Les autres nations, plus graves, plus réfléchies, plus profondément émues, font bientôt de nous leur dupe ; on nous bafoue et l’on se moque de nous tant qu’on veut.

La vertu seule nous sied bien ; nous l’exerçons avec grâce, et presque en nous jouant ; nous faisons les plus nobles actions et les plus hauts sacrifices avec aisance, simplicité, grandeur.

Mais il faut que nous soyons abandonnés à notre instinct ; si l’on veut nous faire agir par des voies étrangères à notre naturel, nous devenons mesquins, intrigants sans succès, jouets de tous et dignes de mépris. C’est pour cela que l’histoire de nos armées est si belle, et celle de nos compagnies si misérable. Voyez le sort de nos établissements dans les Indes.

Nous avons bien pu, à main armée, chasser les nations rivales d’un poste qu’elles occupaient, et nous faire, par notre humeur, plus d’amis qu’elles en ces contrées. L’Amérique et l’Inde n’ont point à nous redemander le sang injustement versé, et nous n’avons à redouter ni leur vengeance ni leur haine ; mais nous avons eu souvent à rougir de leur juste dédain ; jamais nous n’avons su y supplanter le commerce d’aucune nation, et souvent elles ont chassé nos commis avec ignominie, comme des friponneaux maladroits, assez impudents pour se mêler d’être trompeurs, sans industrie et sans vocation. Il faut à la mauvaise foi des combinaisons, des précautions, du secret, de la lenteur ; le français n’y est pas propre. Il ne réussit bien qu’aux sentiments qui exigent du jet, et au commerce qui demande du goût, de la hardiesse et de la célérité.

Les journaux et les livres sont plus dangereux en France qu’ailleurs, parce que tout le monde y veut avoir de l’esprit ; et que ceux qui n’en ont pas, en supposent toujours beaucoup à l’auteur qu’ils lisent, et se hâtent de penser ou de parler comme lui.

Mettez la poésie d’Homère ou l’éloquence de Démosthènes à la mode, les français en feront, et même ils y excelleront.

En France, il semble qu’on aime les arts pour en juger bien plus que pour en jouir. Il faut ménager le vent aux têtes françaises, et le choisir, car tous les vents les font tourner.

Les français sont les hommes du monde les plus propres à devenir fous, sans perdre la tête. Ils ne se trompent guère que méthodiquement, tant ils sont peu faits pour la méthode.

Leur raison va toujours plus droit et plus vite que leur raisonnement.

Les français étaient un peuple moral, par leurs vices mêmes, qui les attachaient peu à la matière ; tandis que les hollandais, par exemple, étaient un peuple matériel, même par leurs vertus, l’amour du travail et l’esprit d’épargne.

Nous avons encore en france, une expression bourgeoise qui est un reste et un signe de la noblesse et du désintéressement ordinaires en nos mœurs passées. On dit, dans nos petites villes, d’un homme qui aime à entasser : il tient à la matière, expression très-philosophique, et qui certes fait honneur à la nation où elle est en usage. La sagesse de Bonaparte était dans ses pensées, et la folie dans ses passions.

Dans les hommes du midi, la méchanceté s’évapore en paroles et en pensées. Moins subtile et plus grave chez ceux du nord, elle ne peut se contenter que par des actes.

Dire vivement et avec feu des choses froides, est une coutume des méridionaux. C’est que leur vivacité ordinaire vient du sang, non de l’âme.

Les affaires d’Angleterre vont bien ; mais sa tranquillité va mal. Je ne vois là qu’un peuple qui croit ne pouvoir acheter ses richesses à trop haut prix. ôtez-lui son commerce : il trouvera demain ses anxiétés politiques insupportables, et ne voudra plus les souffrir. Une vie toute paisible lui rendrait sa constitution odieuse. Son gouvernement est pour lui un sujet d’inquiétude et de défiance, non d’amour, de repos et de sécurité. C’est de l’Angleterre que sont sorties, comme des brouillards, les idées métaphysiques et politiques qui ont tout obscurci.

Les anglais sont gens de bien pour leur propre compte, et gens sans foi pour le compte de leur pays.

Le peuple anglais est tranquille, toutes les fois qu’il n’est pas agité violemment : son caractère lui tient lieu de police. Il est d’une humeur posée, qui donne aux passions le temps de s’amasser lentement et de croître ; aussi ses sentiments sont-ils forts.

Les anglais sont élevés dans le respect des choses sérieuses, et les français dans l’habitude de s’en moquer.

En Angleterre, le parlement est roi, et le roi ministre, mais ministre héréditaire, perpétuel, inviolable. C’est un monarque mutilé, borgne, boiteux et manchot, mais honoré.

Fox était, dans toutes les acceptions de notre mot français, un homme qui savait se montrer ; il ne savait pas autre chose.

Le mot de Louis Xiv : « il n’y a plus de Pyrénées », manque de justesse. Ce n’est pas là ce qui a rendu l’Espagne et la France amies ; c’est plutôt la conquête de la Franche-Comté qui, n’ayant plus laissé, entre les deux nations, aucun sujet de discorde, a fait rentrer l’Espagne dans les limites naturelles où nous n’avions rien à lui envier. L’Espagne et la France sont donc et doivent rester unies, parce qu’il y a des Pyrénées.

L’orgueil est le caractère dominant du peuple espagnol. Jusque dans sa passion pour l’or, il y a plus d’orgueil que de cupidité. C’est l’éclat de ce métal, sa pureté, sa grandeur, et, pour ainsi dire, sa gloire, qui le lui rendent si cher. Il le regarde comme le roi des métaux, et se croit, comme la nation la plus noble de la terre, seul digne de le posséder.

Aussi a-t-il été impitoyable envers les indiens, pour leur arracher cette matière souveraine, qui lui semblait captive entre les mains d’un peuple nu.

Les espagnols ont, dans leurs sentiments, l’enflure qu’on trouve dans leurs livres ; enflure d’autant plus déplorable qu’elle couvre une force de caractère et une grandeur réelles.

Ils se sont rendus odieux et criminels par un faste insensé, et souffrent encore aujourd’hui de l’horreur que nous inspirent les conquérants de l’Inde. Cet exemple doit enseigner aux autres peuples à prendre plus de soin de l’honneur de leur nom, et à le maintenir sans tache ; car, malgré soi, on départ sur les individus, dans les rapports même de l’intimité, l’opinion qu’on a conçue des mœurs et du caractère général de leur nation.

Donner à ses souverains de nouveaux empires, et trouver l’occasion de devenir et de se montrer savant, tel était le double but qu’ambitionnait Améric Vespuce, et qui l’honorait à ses yeux. Il trouvait beau de se gouverner, sur la mer et dans des pays inconnus, par les règles de l’astronomie, science alors peu répandue et peu avancée. Il avait de l’élévation dans l’esprit et de la hardiesse dans le caractère ; mais aucun grand principe de morale ne le dirigea jamais. Dans ses relations, il veut toujours paraître imbu des bonnes lettres ; mais il écrit plutôt en homme à qui sa mémoire rappelle de belles descriptions, qu’en voyageur à qui son imagination représente de beaux objets.

Anson voyagea avec faste, suivi pompeusement d’une nombreuse escorte. Byron se promena sur la mer, en homme qui voulait la connaître, parce qu’il devait s’y battre ; Carteret, en marin qui aime son métier ; Wallis, en gentilhomme qui veut étudier les coutumes et les lieux ; M De Bougainville, en militaire français qui prépare une relation piquante ; Cook, en navigateur qui veut acquérir un grand nom et laisser une longue mémoire chez les nations polies et chez les sauvages. Frédéric Ii. Ce roi sans femmes, ne sera jamais mon héros. Sa fameuse tactique a déjà démenti toute l’estime qu’on en faisait, lorsqu’elle a voulu, dans ces derniers temps, se mesurer avec notre impétuosité française. Ces prussiens si vantés étaient toujours battus avant d’avoir achevé de se mettre en garde, en déroulant leurs longues évolutions. Si ses institutions militaires ont déjà peu réussi, que sera-ce de sa morale, ou, pour mieux dire, de ses influences de toute espèce, qui ont porté dans les esprits prussiens tant d’indifférence pour tout ce qui est grave et sérieux, hors du travail et de la guerre ? Il rendit son pays plus riche, plus belliqueux ; il ne le rendit pas meilleur.

La politesse dans les manières, et la barbarie dans les mœurs ; la faiblesse par l’ignorance, et la présomption par les succès ; l’imperfection par nature, et l’excellence par emprunt ; des vices qui ont mille ans et seront éternels, parce qu’ils sont de race, d’habitude et de climat ; des vertus qui n’ont qu’un jour et dureront peu, parce qu’elles sont de culture et non d’essence ; un peuple enfin dont on a fait ce qu’il ne peut pas être, et qui est condamné à redevenir ce qu’il était : tels sont les russes.

Il y a, dans les flatteries des orientaux, plus d’admiration que de crainte.

Les chinois sont-ils dans un état aussi imparfait qu’on le prétend, et y a-t-il au monde un seul peuple où le pouvoir, le ministre et le sujet soient plus fortement et plus distinctement unis, séparés, établis ? " ils ont été souvent vaincus », dit-on ; mais faut-il rendre les institutions d’une nation responsables des hasards et des événements de la guerre ? Ils ont été souvent vaincus ! Oui, leurs empereurs, mais jamais leurs mœurs. Et la durée n’est-elle pas un signe de l’excellence, dans les lois, comme l’utilité et la clarté sont un caractère de vérité, dans les systèmes ? Or, quel peuple eut jamais des lois plus anciennes, qui aient moins varié, et qui aient été plus constamment honorées, aimées, étudiées ? Voici comment on pourrait diviser le commerce des nations, d’après leur caractère : l’espagnol, joaillier, orfèvre, lapidaire ; l’anglais, manufacturier ; l’allemand, marchand de papiers ; le hollandais, marchand de vivres, et le français marchand de modes. Dans la navigation, le premier est courageux, le second habile, le troisième savant, le quatrième industrieux, et le cinquième hasardeux.

Il faut donner à un vaisseau un capitaine espagnol, un pilote anglais, un contre-maître allemand et des matelots hollandais ; le français ne marche que pour son compte. Il faut proposer au premier une conquête ; une entreprise au second, des recherches au troisième, au quatrième du gain, et un coup de main au cinquième. Le premier veut de grands voyages, le second des voyages importants, le troisième des voyages utiles, le quatrième des voyages lucratifs, et le cinquième des voyages rapides. Le premier s’embarque pour aller, le second pour agir, le troisième pour voir, le quatrième pour gagner, et le cinquième pour arriver. La mer enfin est pour l’espagnol un chemin, pour l’anglais un lieu, pour l’Allemand un cabinet d’étude, pour le Hollandais une voie de transport, et pour le Français une chaise de poste.