Philosophie (Élisa Mercœur)

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Femmes-Poëtes de la France, Texte établi par H. BlanvaletLibrairie allemande de J. Kessmann (p. 118-119).




PHILOSOPHIE.


Lorsque je vins m’asseoir au festin de la vie,
Quand on passa la coupe au convive nouveau,
J’ignorais le dégoût dont l’ivresse est suivie
Et le poids d’une chaîne à son dernier anneau.

Et pourtant je savais que les flambeaux des fêtes,
Éteints ou consumés, s’éclipsent tour à tour ;
Et je voyais les fleurs, qui tombaient de nos têtes,
Montrer en s’effeuillant leur vieillesse d’un jour.

J’apercevais déjà sur le front des convives
Des reflets passagers de tristesse et d’espoir…
Souriant au départ des heures fugitives,
J’attendais que l’aurore inclinât vers le soir.

J’ai connu qu’un regret payait l’expérience,
Et je n’ai pas voulu l’acheter de mes pleurs ;
Gardant comme un trésor ma calme insouciance,
Dans leur fraîche beauté j’ai moissonné les fleurs.


Préférant ma démence à la raison du sage,
Si j’ai borné ma vie au moment du bonheur,
Toi, qui n’as cru jamais aux rêves du jeune âge,
Qu’importe qu’après moi tu m’accuses d’erreur ?

En vain tes froids conseils cherchent à me confondre,
L’obtiendras-tu jamais ce demain attendu ?
Lorsqu’au funèbre appel il nous faudra répondre,
Nous aurons tous les deux, toi pensé, moi vécu.

Nomme cette maxime, ou sagesse ou délire,
Moi je veux jour à jour dépenser mon destin.
Il est heureux, celui qui peut encor sourire,
Lorsque vient le moment de quitter le festin !