Physiologie du Mariage/19

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Physiologie du Mariage
Œuvres complètes de H. de BalzacA. Houssiaux16 (p. 508-511).

MÉDITATION XIX.

DE L’AMANT.

Nous offrons les maximes suivantes à vos méditations.

Il faudrait désespérer de la race humaine si elles n’avaient été faites qu’en 1830 ; mais elles établissent d’une manière si catégorique les rapports et les dissemblances qui existent entre vous, votre femme et un amant ; elles doivent éclairer si brillamment votre politique, et vous accuser si juste les forces de l’ennemi, que le magister a fait toute abnégation d’amour-propre ; et si, par hasard, il s’y trouvait une seule pensée neuve, mettez-la sur le compte du diable qui conseilla l’ouvrage.


LXV.

Parler d’amour, c’est faire l’amour.


LXVI.

Chez un amant, le désir le plus vulgaire se produit toujours comme l’élan d’une admiration c onsciencieuse.


LXVII.

Un amant a toutes les qualités et tous les défauts qu’un mari n’a pas.


LXVIII.

Un amant ne donne pas seulement la vie à tout, il fait aussi oublier la vie : le mari ne donne la vie à rien.


LXIX.

Toutes les singeries de sensibilité qu’une femme fait abusent toujours un amant ; et, là où un mari hausse nécessairement les épaules, un amant est en extase.


LXX.

Un amant ne trahit que par ses manières le degré d’intimité auquel il est arrivé avec une femme mariée.


LXXI.

Une femme ne sait pas toujours pourquoi elle aime. Il est rare qu’un homme n’ait pas un intérêt à aimer. Un mari doit trouver cette secrète raison d’égoïsme, car elle sera pour lui le levier d’Archimède.


LXXII.

Un mari de talent ne suppose jamais ouvertement que sa femme a un amant.


LXXIII.

Un amant obéit à tous les caprices d’une femme ; et, comme un homme n’est jamais vil dans les bras de sa maîtresse, il emploiera pour lui plaire des moyens qui souvent répugnent à un mari.


LXXIV.

Un amant apprend à une femme tout ce qu’un mari lui a caché.


LXXV.

Toutes les sensations qu’une femme apporte à son amant, elle les échange ; elles lui reviennent toujours plus fortes ; elles sont aussi riches de ce qu’elles ont donné que de ce qu’e lles ont reçu. C’est un commerce où presque tous les maris finissent par faire banqueroute.


LXXVI.

Un amant ne parle à une femme que de ce qui peut la grandir ; tandis qu’un mari, même en aimant, ne peut se défendre de donner des conseils, qui ont toujours un air de blâme.


LXXVII.

Un amant procède toujours de sa maîtresse à lui, c’est le contraire chez les maris.


LXXVIII.

Un amant a toujours le désir de paraître aimable. Il y a dans ce sentiment un principe d’exagération qui mène au ridicule, il faut en savoir profiter.


LXXIX.

Quand un crime est commis, le juge d’instruction sait (sauf le cas d’un forçat libéré qui assassine au bagne) qu’il n’existe pas plus de cinq personnes auxquelles il puisse attribuer le coup. Il part de là pour établir ses conjectures. Un mari doit raisonner comme le juge : il n’a pas trois personnes à soupçonner dans la société quand il veut chercher quel est l’amant de sa femme.


LXXX.

Un amant n’a jamais tort.


LXXXI.

L’amant d’une femme mariée vient lui dire : — Madame, vous avez besoin de repos. Vous avez à donner l’exemple de la vertu à vos enfants. Vous avez juré de faire le bonheur d’un mari, qui, à quelques défauts près (et j’en ai plus que lui), mérite votre estime. Eh ! bien, il faut me sacrifier votre famille et votre vie, parce que j’ai vu que vous aviez une jolie jambe. Qu’il ne vous échappe même pas un murmure ; car un regret est une offense que je punirais d’une peine plus sévère que celle de la loi contre les épouses adultères. Pour prix de ces sacrifices, je vous apporte autant de plaisirs que de peines. Chose incroyable, un amant triomphe !… La forme qu’il donne à son discours fa it tout passer. Il ne dit jamais qu’un mot : — J’aime. Un amant est un héraut qui proclame ou le mérite, ou la beauté, ou l’esprit d’une femme. Que proclame un mari ?

Somme toute, l’amour qu’une femme mariée inspire ou celui qu’elle ressent est le sentiment le moins flatteur qu’il y ait au monde : chez elle, c’est une immense vanité ; chez son amant, c’est égoïsme. L’amant d’une femme mariée contracte trop d’obligations pour qu’il se rencontre trois hommes par siècle qui daignent s’acquitter ; il devrait consacrer toute sa vie à sa maîtresse, qu’il finit toujours par abandonner : l’un et l’autre le savent, et depuis que les sociétés existent, l’une a toujours été aussi sublime que l’autre a été ingrat. Une grande passion excite quelquefois la pitié des juges qui la condamnent, mais où voyez-vous des passions vraies et durables ? Quelle puissance ne faut-il pas à un mari pour lutter avec succès contre un homme dont les prestiges amènent une femme à se soumettre à de tels malheurs !

Nous estimons que, règle générale, un mari peut, en sachant bien employer les moyens de défense que nous avons déjà développés, amener sa femme jusqu’à l’âge de vingt-sept ans, non pas sans qu’elle ait choisi d’amant, mais sans qu’elle ait commis le grand crime. Il se rencontre bien çà et là des hommes qui, doués d’un profond génie conjugal, peuvent conserver leurs femmes pour eux seuls, corps et âme, jusqu’à trente ou trente-cinq ans ; mais ces exceptions causent une sorte de scandale et d’effroi. Ce phénomène n’arrive guère qu’en province, où la vie étant diaphane et les maisons vitrifiées, un homme s’y trouve armé d’un immense pouvoir. Cette miraculeuse assistance donnée à un mari par les hommes et par les choses s’évanouit toujours au milieu d’une ville dont la population monte à deux cent cinquante mille âmes.

Il serait donc à peu près prouvé que l’âge de trente ans est l’âge de la vertu. En ce moment critique, une femme devient d’une garde si difficile que, pour réussir à toujours l’enchaîner dans le paradis conjugal, il faut en venir à l’emploi des derniers moyens de défense qui nous restent, et que vont dévoiler l’Essai sur la Police, l’Art de rentrer chez soi et les Péripéties.