Pleureuses/11

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Repos (1895)
PleureusesErnest Flammarion (p. 47-52).
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REPOS


Dans l’espace qui n’a rien fait…


Dans la fièvre des nuits en feu,
Dans la rumeur des avalanches,
J’ai rêvé de ces maisons blanches
Qui reposent sous le ciel bleu.

Nous viendrons aimer auprès d’elles
L’oubli vide des grands malheurs,
L’herbe toute nue et les fleurs
Parmi les tombes maternelles.


J’aime la mort qui consola
Les vieux cœurs dans le grand silence.
Tout le ciel sourit d’innocence ;
Mes souvenirs sont venus là.

Pauvre rêve d’un pauvre artiste,
Une croix se dresse sur eux,
Si calme que je suis heureux,
Et si simple que je suis triste.

Ils dorment dans le jour calmé,
Sous le ciel où plus rien ne change,
Les yeux émus du petit ange
Que mon amour a tant aimé.

C’est la bonté de chaque chose
Qui remue à peine parfois.
Le soleil s’endort sur les toits,
Je sens mon âme qui repose.


Mon ombre obscure pas à pas
Marche avec moi dans la tristesse.
Là-bas, là-bas, c’est ma jeunesse…
Je ne sais plus, je ne sais pas.

J’aime beaucoup les fleurs fidèles
Qui sont douces au marbre étroit,
Et qui seraient douces pour moi
Si je dormais à côté d’elles.

De petits oiseaux noirs, en chœur,
Dorment sur les branches dormantes,
Et les fleurs jaunes et les menthes
Nous parfument de tout leur cœur.

C’est l’azur si bon sur la plaine,
Les chemins blancs et les murs blancs,
Les aveux, les pardons tremblants
Et les pauvres âmes en peine ;


Le vieux banc où je viens m’asseoir,
La prière où l’on s’abandonne,
Et le ciel ému qui pardonne
Depuis le matin jusqu’au soir.

Tout le long des vieilles chapelles,
Pauvre martyr, je vais tout droit ;
Elles sont calmes comme moi,
Je mourrai doucement comme elles.

Les cœurs sont calmes sous les cieux,
Dans les champs d’or, sous le bleu pâle…
Belle vierge au visage ovale,
Soyez douce comme vos yeux.

N’enviez plus ma tyrannie,
Tout mon malheur est de l’amour.
Mes pas sont vides dans le jour,
Vous pouvez aimer mon génie.


Il s’est tu, le cœur triomphant.
Je viens à la fin de mon âge
Dans un dernier pèlerinage,
Le voir dormir comme un enfant.

Je m’en vais parmi la journée,
Le soir est long. Je ne sais pas
Dans quel grand naufrage, là-bas,
Viendra mourir ma destinée.