Poèmes (Canora, 1905)/Caresses

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(p. 124-125).


CARESSES


 
Si tu veux apaiser mes doutes et mes fièvres
Et m’entendre chanter les vers harmonieux,
Ô ne détourne plus ta bouche, ni tes yeux ;
Les caresses, vois-tu, sont douces à mes lèvres.

Pourquoi me retirer ce que tu me donnas ?
Est-ce pour me punir de t’avoir trop aimée,
Car j’ai connu tes yeux, ta bouche parfumée,
Quand tu t’abandonnais, rêveuse entre mes bras.

Te souvient-il d’un soir, au flanc d’une colline,
Où nous gisions, grisés par la senteur des foins,
J’avais penché mon front sur ta tête câline,
Nous écoutions des chants qui s’exhalaient au loin.

 

Et comme le soleil empourprait tout l’espace,
Et comme l’harmonie emplissait tout le Ciel,
Je frémis tout à coup, sentant mon âme lasse,
Devant l’immensité, souffrant d’être mortel.

Alors tu fis un bond vers mon âme éperdue,
Tu m’appris, d’un baiser dont je frissonne encor,
La tiède volupté des bouches confondues
Sous le ciel clair de juin, chargé d’étoiles d’or.

Et je t’aime depuis, et je veux tes caresses,
Un seul regard de toi me fait rire ou pleurer,
Le meilleur de mon âme est fait de ta tendresse,
Amie, et si j’écris, c’est pour mieux t’adorer.

S’il fallait que la mort, spectre morne et farouche,
Penchât sa tête glabre au-dessus de la couche
Où nous serions unis, une nuit de bonheur,
Je te dirais : « Je t’aime », et tu n’aurais plus peur.
Et, sentant palpiter ta chair contre ma bouche,
Pour la dernière fois, je baiserais ton cœur.