Poésies (Poncy)/Vol. 1/Sinistre

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PoésiesI (p. 161-162).

SINISTRE



Un coup de vent de mars siffle dans les cordages.
Les promeneurs du soir laissent nos quais déserts.
La nuit vient. Les pécheurs regagnent leurs rivages.
Le mistral en charpie a cardé les nuages,
Et le soleil s’abîme à l’horizon des mers.

Des vagues, ou plutôt des montagnes mouvantes,
Heurtent avec fracas leurs fronts blancs de fureur.
Leur rude choc produit des notes effrayantes :
On dirait que le ciel hurle avec ces tourmentes,
Et qu’il mêle sa foudre à ce sauvage chœur.

Ô terreur ! Regardez cette pauvre nacelle

Que la mer lance au ciel et que le ciel lui rend.
Voyez comme elle lutte et comme elle chancelle ;
Et comme son fanal dans la nue étincelle,
Puis revient éclairer l’abîme qui la prend.

Tel qu’un petit navire, au sein de ces batailles
Dont le bruit va troubler la paix des océans
Et remuer des mers les sonores entrailles,
Lutte entre deux vaisseaux et brave leurs mitrailles,
Ainsi lutte l’esquif entre deux flots géants.

Mais les cris déchirants du pêcheur qui succombe
Vibrent dans l’air. Le ciel a dicté son arrêt.
Deux flots, en se joignant, vont lui sceller sa tombe.
La nacelle, sans mât, s’élance, vole, tombe,
Se relève soudain, retombe… disparaît.

Tout se tait. Seulement la clameur de l’orage
Glace les cœurs d’effroi. La vague au casque blanc,
Dans les rides des rocs amortissant sa rage,
Déferle sur leurs fronts, y signe le naufrage,
Et la nacelle vide y fracasse son flanc.



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