Poésies (Poncy)/Vol. 1/Nuit en mer

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PoésiesI (p. 163-167).
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NUIT EN MER


I


Rien n’est pour moi plus poétique
Qu’une promenade sur l’eau !
Je crois voir l’onde adriatique
Caresser les pieds du Lido,
Et l’ombre de Byron assise
Sur les ruines de Venise,
Où le pâle flot qui se brise
Pleure comme sur un tombeau.

Je t’ai promis, ma Désirée,
Que, sous les baisers du zéphyr,

Par quelque riante soirée
Nous irions voir les flots frémir.
Le soleil lentement s’incline
À l’occident sur la colline
Qui ferme sa couche marine…
L’esquif est prêt, veux-tu partir ?

Vois ! quel religieux silence
Règne dans tous les environs
De cette mer qui nous balance
Et que plissent nos avirons !
Oh ! fais résonner ta guitare !
À l’écouter tout se prépare,
Car un pareil calme est bien rare
Sur l’onde où nous nous égarons.

II


chant de désirée



« Que j’aime à voir l’écharpe blanche
Dont la mer ceint notre bateau,
Et l’onde qui sous lui se penche
Comme la branche sous l’oiseau !
Que j’aime entendre le murmure
Qu’exhale sa poitrine obscure,

Comme on entend, sous la verdure,
Couler l’harmonieux ruisseau !


« Le flot, comme un amant fidèle
Qui suit l’objet de ses amours,
S’attache aux pas de la nacelle.
Il lui dit : « Ralentis ton cours.
Laisse-moi, coquette inhumaine,
Arrondir sur ton sein d’ébène
L’écume qu’à tes pieds je traîne…
Et la nacelle fuit toujours !

« Voici qu’une brise plaintive
Vient bercer les flots assoupis.
Chacun d’eux brille sur la rive
Comme un oiseau de paradis.
Car l’astre de la nuit se lève
Joyeux comme après un doux rêve,
Et sa lumière sur la grève
Blanchit les cailloux arrondis.

« Je chéris la clarté modeste,
Douce lune au front virginal,
Qui pends sous le plafond céleste,
Comme une lampe de cristal.
Sur la mer belle, mais perfide,
La nuit ta lumière nous guide,

Et tu ne fuis, vierge timide,
Qu’au premier rayon matinal.

« Étoiles d’or, qui dans nos glyphes
Mirez vos radieux essaims,
Êtes-vous des hiéroglyphes
Dessinés par les doigts divins ?
Et sous cette voûte éternelle
Où votre regard étincelle,
Votre troupe garderait-elle
Le grand secret de nos destins ?

« Et toi, falaise colossale,
Combien de fois, rompant leur frein,
Les flots chassés par la rafale
Sillonnèrent ton front d’airain ?
Maintenant la mer le caresse
Comme une amoureuse maîtresse,
Et dans son sein elle te presse
Comme un trésor dans un écrin.

« Poissons aux lèvres purpurines.
Que je vois doucement nager
À travers les algues marines,
Fuyez, vos jours sont en danger :
L’ombre d’un pêcheur se projette

Sur votre limpide retraite.
Autour du filet qu’il y jette,
Gardez-vous bien de voltiger !…

« Berçons-nous ! la vague est si douce
Quelle ne peut même pencher
Les cheveux de la verte mousse
Qui couronne chaque rocher.
Laissons notre rame légère
S’endormir dans sa couche amère :
Avant le jour, près de la terre,
Le flot saura nous rapprocher. »

III



— Ta tendresse m’emparadise,
Ma vierge ! et tes chansons d’amour
Sont suaves comme la brise
Qui caresse ce doux séjour.
Puisque le ciel est sans nuage.
Que la mer luit comme un mirage,
Sur l’onde calme de la plage
Je veux te bercer jusqu’au jour.



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