Pour cause de fin de bail/Le Cambriolage de l’obélisque (fait-divers)

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LE CAMBRIOLAGE DE L’OBÉLISQUE
(Fait-Divers)

Dans la nuit de mercredi à jeudi, deux gardiens de la paix, opérant leur ronde, place de la Concorde, ne furent pas peu surpris en apercevant de la lumière qui filtrait à travers l’une des crevasses de l’Obélisque de Louqsor.

Tout d’abord, ils se crurent le jouet d’une illusion.

Mais, en s’approchant, aucun doute ne leur fut permis et les braves agents se virent forcés de se rendre à l’évidence : une lueur filtrait par la crevasse.

Positivement, une lueur filtrait.

Un peu ahuris, les agents firent le tour du monument et ne purent que se convaincre de cette étrange réalité : il y avait de la lumière dans l’Obélisque.

À grands pas, ils rentrèrent au poste, signalèrent le fait au brigadier qui n’hésita pas à envoyer quérir le commissaire de police.

Ce magistrat crut d’abord à une mystification.

— C’est probablement, dit-il en ricanant, le concierge de l’Obélisque qui aura oublié de souffler sa chandelle.

Sur l’insistance du brigadier, le commissaire se décida à se porter sur les lieux, et force lui fut bien de constater que les agents n’avaient point la berlue.

D’un bond, ces messieurs franchirent la grille et vinrent appuyer leur oreille contre la paroi extérieure de l’édifice.

Dans l’intérieur du vieux monument égyptien, résonnaient des bruits d’orgie, des chocs de verres, des propos sacrilèges et blasphématoires, des refrains populaciers, d’obscènes poésies.

Un rapide examen permit à ces messieurs de constater qu’aucune porte, dissimulée ou non, ne permettait l’accès dans l’Obélisque.

Les malfaiteurs avaient donc dû pénétrer par en dessous.

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Ce n’est pas une petite affaire que de réveiller les agents du Service des Égouts à trois heures du matin.

Il le fallut bien, pourtant.

Ajoutons que ces braves fonctionnaires ne regrettèrent point leur repos interrompu, car le spectacle qu’ils eurent à contempler sortait véritablement du banal.

Partant d’une petite branche d’égout (rarement explorée), des malfaiteurs avaient pratiqué un long trou qui venait aboutir juste au-dessous de l’Obélisque.

De là, et verticalement, grâce à des instruments ad hoc, une patience inaltérable et une énergie qui, mieux appliquée, aurait produit de grandes choses, ces bizarres cambrioleurs avaient réussi à évider l’antique bloc de granit, ne lui réservant qu’une épaisseur d’un centimètre à peine.

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Quand, précédés du commissaire ceint du son écharpe, les braves agents pénétrèrent dans l’Obélisque, quatre individus, deux hommes à face patibulaire et deux filles dites de barrière, s’y trouvaient, s’adonnant à la plus crapuleuse orgie.

Pour ne point mentir, ces personnages n’étaient point rangés autour d’une table circulaire.

L’exiguïté du local les avait contraints à s’espacer sur une échelle verticale en fer creux, dérobée dans un grand magasin non loin du pont Notre-Dame.

Pour se communiquer aliments ou breuvages, ces indélicats personnages employaient le système américain dit up and down, c’est-à-dire que celui d’en bas passait litre ou charcuterie variée à son voisin d’au-dessus, lequel en faisait autant, et ainsi de suite.

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Tout ce joli monde a été envoyé au Dépôt.