Pour cause de fin de bail/Suppression de la boue par un procédé fort simple, mais auquel il ne fallait pas moins songer

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SUPPRESSION DE LA BOUE PAR UN PROCÉDÉ FORT SIMPLE, MAIS AUQUEL IL NE FALLAIT PAS MOINS SONGER.

J’ai raconté, dans le temps, à quelques centimètres de la place où vous lisez ces lignes, le curieux accident dont je fus témoin et auquel beaucoup de personnes ne crurent point devoir fournir la moindre foi.

Un immense chaland, relatais-je, chargé de papier buvard, s’étant heurté contre une des piles du Pont-au-Change, une voie d’eau se déclarait et aussitôt le chaland coulait, lui et sa marchandise, au fond de la Seine.

En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, le chargement de papier buvard absorbait l’eau de la rivière, d’où brusque et énorme abaissement du niveau de la Seine, abaissement qui faillit un instant friser la dessication complète.

Mais bientôt arrivèrent les pompiers, et la Seine ne fut pas longue à reprendre son étiage normal.

Tel est le fait divers que j’avais fidèlement raconté à mon million et demi de lecteurs.

Beaucoup de ces messieurs et dames protestèrent.

Les uns m’accusèrent formellement d’être un « blagueur » (sic), et de relater à plaisir des désastres qui n’avaient lieu que dans mon imagination.

D’autres se refusèrent à croire que le papier buvard fut d’un emploi assez considérable pour provoquer à lui seul d’aussi fortes cargaisons.

L’épithète de « blagueur », je la renvoie à ceux qui m’en affublèrent.

Quant aux personnes qui m’accusèrent d’exagérer les transactions en matière de papier buvard, je les prie seulement d’assister aux expériences qui vont avoir lieu sur la chaussée des boulevards, à partir de lundi prochain.

Elles y verront de gigantesques rouleaux semblables, en plus grand, à ceux dont se servent les bureaucrates pour sécher l’encre de leur écriture.

Ces rouleaux, de 1m80 de diamètre, traînés par des chevaux, seront promenés sur nos principales artères à seule fin d’éponger la boue qui les souille.

Dire qu’il a fallu quatre-vingt-trois ans (ce papier a été inventé en 1804 par le vénérable abbé Buvard qui lui donna son nom), pour penser à une application si simple et pourtant si avantageuse d’un produit tellement connu !

Ne récriminons pas trop, mais félicitons-nous au contraire d’en finir avec la boue, cet humide fléau qui souille nos souliers, le bas de nos pantalons et celui des jupes de nos compagnes.

Et pourquoi n’élèverait-on point une statue à feu Buvard, à ce modeste et utile citoyen ?